Le Journal de Montreal

Quand les artistes sont des violeurs

- SOPHIE DUROCHER sophie.durocher @quebecorme­dia.com

Si une victime de viol demande à la justice de clore son dossier, est-ce que ça signifie que l’on doit pardonner à son violeur?

La question se pose, parce que Samantha Geimer, qui a été violée quand elle avait 13 ans par le grand cinéaste Roman Polanski (Rosemary’s Baby, Le pianiste), a demandé vendredi à un juge de Los Angeles de clore ce dossier qui lui empoisonne la vie depuis 40 ans.

TournEr lA PAGE ?

Si Geimer ne veut plus entendre parler de son histoire de viol, cela signifie-t-il que nous, comme public, devons arrêter d’associer le grand Polanski avec cette histoire sordide? Elle a déjà déclaré lui avoir pardonné, elle a déjà accepté une grosse somme d’argent de Polanski en compensati­on, et maintenant, elle demande carrément à la justice de tourner la page.

«Je vous implore de considérer une solution à ce dossier sans emprisonne­r un homme de 83 ans», a-t-elle déclaré au juge Scott Gordon.

«Je ne parle pas au nom de Roman, mais de la justice. Je vous implore de faire cela pour moi, par pitié pour moi», a-telle spécifié.

Soyons clairs: Geimer demande que l’on ferme le dossier, elle ne nie pas les faits, qui sont qu’elle a été violée par Polanski à l’âge de 13 ans.

Il lui a fait boire du champagne, l’a droguée en la forçant à avaler des Quaalude, puis l’a violée dans la maison de Jack Nicholson, à Los Angeles, en 1977.

Sauf que 40 ans plus tard, Geimer est fatiguée d’être constammen­t considérée comme «la victime de Polanski».

ET Au quÉBEC

Maintenant, je vous pose une question plus près de notre réalité québécoise…

Si les victimes du cinéaste Claude Jutra faisaient une déclaratio­n publique en disant vouloir «passer à autre chose», est-ce que votre attitude face à Jutra changerait? Est-ce qu’on pourrait renommer les parcs qui portaient son nom? Est-ce qu’on penserait à redonner son nom aux prix qui récompense­nt l’excellence du cinéma québécois? Est-ce que son nom serait «réhabilité» pour autant?

BEAu mAlAISE À lA FrAnÇAISE

En France, à la dernière remise des Molière (les grands prix dans le domaine du théâtre), une comédienne et humoriste montée sur scène pour présenter un prix en a profité pour faire une déclaratio­n surprenant­e.

Blanche Gardin a créé un malaise en affirmant: «Quand j’étais petite, c’était mon rêve d’être comédienne de théâtre et mes parents m’avaient inscrite à un atelier de théâtre et j’adorais ça, j’adorais être sur scène avec mes petits camarades. Pendant qu’on était sur scène, le metteur en scène ne pouvait pas nous toucher…

«Enfin, c’était un metteur en scène génial, par ailleurs. Parce qu’il faut savoir distinguer l’homme de l’artiste… Et c’est bizarre, d’ailleurs, que cette indulgence s’applique seulement aux artistes… Parce qu’on ne dit pas, par exemple, d’un boulanger: “Oui, d’accord, c’est vrai, il viole un peu des gosses dans le fournil, mais bon, il fait une baguette extraordin­aire”…»

Blanche Gardin a entièremen­t raison. Les questions que l’on se pose sur Polanski ou sur Jutra, on ne se les poserait jamais pour les boulangers, les garagistes ou les notaires.

Pourquoi devrait-on pardonner aux artistes géniaux d’avoir commis des gestes absolument dégueulass­es?

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