SOLDATE DEVENUE SOLDAT
Confidences d’un transsexuel
«Qu’est-ce que tu as entre les jambes? » «Es-tu rendu gay?» «Vas-tu te faire opérer en bas?» L’un des rares soldats transsexuels dans les Forces armées canadiennes mène le combat d’une vie: mettre fin aux stéréotypes et tabous de ce milieu typiquement macho.
Vincent Lamarre a commencé sa carrière dans l’armée canadienne à l’âge de 23 ans. À l’époque, son prénom était Viriginie.
C’est en tant que femme qu’il a été déployé pendant huit mois en Afghanistan en 2010. Il y était la seule soldate à ravitailler la ligne de front et transporter des victuailles en pleines zones de guerre.
Le caporal Lamarre n’a visiblement pas froid aux yeux. Rien ne l’arrête. Mais il y a une chose qu’il n’avait jamais réussi à faire jusqu’à récemment: se sentir à l’aise dans son corps.
Ce n’est qu’après avoir frôlé la mort lors d’un voyage en 2014 que Virginie a décidé de devenir Vincent.
L’armée ne peut dire avec exactitude le nombre de personnes transsexuelles dans ses rangs. Chose certaine, Vincent fait partie des 19 soldats à qui l’armée a payé le processus de changement de sexe depuis 2008.
Parmi eux, le trentenaire originaire de Saint-Jean-sur-Richelieu est l’un des rares qui accepte de parler si ouvertement de ce choix de vie.
APPUI DES COLLÈGUES
S’il dit pouvoir compter sur l’acceptation quasi inconditionnelle de ses collègues et l’appui de ses supérieurs militaires, sa transition ne s’est pas faite sans heurts d’abord sur la base de Valcartier, puis à celle de Saint-Jean-sur-Richelieu.
Il n’a eu d’autre choix que de s’habituer au barrage de questions parfois indiscrètes. Ni de faire face au malaise palpable de ses collègues masculins dans les toilettes, vestiaires et douches qu’ils partagent désormais.
«Au départ lorsque j’entrais dans la toilette ou les vestiaires, les gars qui étaient là devenaient gênés et sortaient pour me laisser mon intimité. Ensuite, lorsque je sortais, ils rentraient tous en s’excusant», dit-il, en ajoutant que le malaise s’est dissipé dès que son corps a commencé à se transformer.
Le caporal Lamarre raconte que c’est à l’âge de trois ans qu’il a commencé à se sentir comme un étranger dans son corps, même s’il était trop jeune pour comprendre le concept de «genre» ou de «sexe».
«Dans ma jeunesse, j’étais convaincu que j’étais né comme hermaphrodite et que ma mère avait fait enlever mon pénis. Même quand j’ai compris que ce n’était pas le cas, j’ai refoulé une rage intérieure envers elle pendant des années parce que j’étais convaincu que c’était à cause d’elle que j’étais dans un corps de femme», raconte le caporal lors d’un entretien à la garnison de Saint-Jean-sur-Richelieu.
Mais ce n’est qu’au moment d’atteindre la puberté que le caporal Lamarre a commencé à ressentir une détresse psychologique qui le poussait même à se blesser.
SEINS MAUDITS
«Quand mes seins ont commencé à pousser, je les bandais avec un ruban serré en espérant qu’ils disparaissent. Quand j’ai eu mes premières menstruations, je me frappais dans le ventre en espérant empêcher le développement de mon utérus et mes organes féminins. Je ne voulais rien de tout ça», se rappelle-t-il.
Malgré tout, il était persuadé à l’époque qu’il s’habituerait un jour à son physique.
Après quelques années de travail dans la restauration, c’est le déclenchement de la guerre en Afghanistan et un désir profond d’aider son pays qui l’a poussé à se joindre aux Forces armées canadiennes. Il a réussi sa qualification de soldat, pour ensuite faire celle de chauffeur. Deux ans plus tard, il a été déployé en Afghanistan pendant huit mois.
Malgré les périls et l’adrénaline associés à son travail, il a fallu un accident en plongée sous-marine pendant des vacances en 2014 pour obliger le caporal à envisager sérieusement la possibilité de devenir un homme.
«J’avais fait des années de thérapie pour apprendre à accepter mon corps. Mais je suis passé à un cheveu de mourir noyé pendant mes vacances. Et c’est cet événement qui a été l’élément déclencheur qui m’a fait dire : “assez, c’est assez.
Je veux vivre ma vie et je veux arrêter d’être malheureux”», raconte Vincent Lamarre.
Une décision qui n’a pas fait l’unanimité dans son entourage, avoue-t-il. «Quand je l’ai annoncé à ma blonde de l’époque, elle a complètement pété sa coche. Elle ne voulait rien savoir de ça, elle me disait que je l’avais trahie. Aujourd’hui, on n’est plus ensemble», laisse tomber le soldat.
Du côté de sa famille, tous ont rapidement accepté son choix. Et ce, même s’il avait tellement peur de le dire à sa mère que c’est plutôt sa soeur qui l’a fait pour lui.
N’empêche que c’est l’annonce à sa 2e famille, soit ses collègues et supérieurs militaires, qui l’angoissait le plus.
SANS FONDEMENT
Or, ses craintes se sont avérées sans fondement. Immédiatement, ses patrons ont pris au sérieux sa transition. Ils l’ont accommodé le plus possible, explique-t-il.
Ce qui a davantage surpris le caporal est plutôt le barrage de questions auquel il a dû faire face de la part de ses collègues.
«Les gens ne connaissent pas le sujet, ils ont vu que j’ai une ouverture à en parler. J’ai donc été bombardé de questions. La plupart étaient très compréhensibles, mais certaines ne se posent vraiment pas. Comment te sentirais-tu si je te demandais si tu avais un pénis entre les jambes, ou si tu étais castré? Ce n’est pas de tes affaires», s’exclame-t-il.
Même un transfert quelques mois plus tard vers la garnison plus petite de SaintJean-sur-Richelieu, plus près de ses rendez-vous médicaux à Montréal, n’a pas réduit le nombre de questions.
«Je m’exprime publiquement sur mon cheminement dans le but d’informer les gens. Si je peux éviter à cinq personnes de devoir répondre à ces questions, ça se peut que je sauve cinq personnes trans [de la dépression]. La transition est déjà tellement éreintante, c’est encore plus épuisant de te faire poser plein de questions», explique le caporal.
COLLÈGUES SURPRIS
Le supérieur du soldat, le caporal-chef Dominic Morin, avoue que l’annonce de la transition de sexe du caporal Lamarre a étonné son équipe. Les questions n’ont pas tardé à fuser.
«Je connais le caporal Lamarre depuis que nous étions tous les deux en poste à Valcartier, avant l’annonce de sa transition. C’est sûr que lorsqu’on nous a dit qu’il changeait de sexe, ça a pris plusieurs personnes par surprise. On connaît tellement peu de personnes trans, et encore moins des soldats», raconte le caporal-chef.
La transition vers la vie dans un corps d’homme a mené à son lot d’adaptations, avoue en riant le jeune militaire, que ses collègues décrivent comme «hyperactif», «enjoué» et surtout, «verbomoteur».
Le plus important changement fut l’utilisation des toilettes, vestiaires et douches des hommes, qui s’est fait avant même que son corps commence lentement à se transformer grâce aux traitements hormonaux.
«C’est moi qui ai eu le plus de misère à m’habituer au changement de locaux. La situation avec les toilettes et les vestiaires me stressait beaucoup», explique-t-il.
Ne sachant pas d’avance dans quelle mesure l’armée voudrait bien l’accommoder, le caporal a même acheté sa résidence pour s’assurer d’être à l’aise.
«Quand j’ai été transféré à Saint-Jean, j’ai acheté une maison à 4 km de la base pour pouvoir y aller n’importe quand pour me laver ou me soulager», avoue M. Lamarre.
Ça s’est avéré inutile. Le caporal explique que l’armée a plutôt mis une toilette et une douche individuelle à sa disposition près de son travail.
TRANSITION À 50 %
Le processus de transformation entamé par le caporal Lamarre en 2014 s’avère péniblement long. D’abord, les traitements hormonaux. Ensuite, les nombreux mois d’attente pour sa première opération qui a finalement eu lieu en juin 2016. Il a subi l’ablation des seins, avant de se faire retirer l’utérus.
«Je dirais qu’aujourd’hui, je suis à un peu plus de 50 % de la transition physique, même si ça fait des années que je l’ai entamée. C’est un processus super long et extrêmement douloureux par moments, mais la partie la plus frustrante est certainement l’attente interminable pour avoir des rendez-vous», explique le caporal.
Maintenant, c’est la phalloplastie – la création d’un pénis – qui l’attend. Un processus qui prend pas moins de deux à trois ans et qui réussit rarement du premier coup, admet Vincent Lamarre.
«Je ne suis pas encore sorti du bois et de nombreuses personnes transsexuelles ne vont pas jusqu’à la création d’un pénis, dit-il. Mais je compte aller au bout du processus, c’est ce que je veux au plus profond de moi.»