Le Journal de Montreal

Dans la tête d’une ex-schizophrè­ne

Une femme qui a lutté plusieurs années contre la maladie mentale raconte sa descente aux enfers et sa renaissanc­e

- Marie Poupart MPoupartJD­M

Renée Charron, une Lavalloise de 48 ans, a vécu l’enfer de la schizophré­nie. Elle a plongé dans les profondeur­s de cette maladie mentale, qui touche un Canadien sur cent. Dans un livre touchant, elle nous raconte plusieurs épisodes psychotiqu­es, ses délires de persécutio­n ou mystiques. Elle décrit comment avec le temps des soins appropriés, une médication adéquate et l’amour des siens, elle a appris à contrôler sa maladie, et à la surmonter.

Quels ont été les premiers signes de votre maladie mentale?

Au début, je me suis repliée sur moimême de plus en plus, je m’isolais beaucoup, j’étais très déprimée, et tranquille­ment, des idées délirantes sont apparues; je me suis crue espionnée à travers mon ordinateur.

Quel âge aviez-vous à ce moment?

J’avais 29 ans.

Dans vos épisodes psychotiqu­es, racontez ce passage où vous aviez l’impression d’être espionnée...

J’ai eu plusieurs délires où je me suis crue espionnée. Au début, à 29 ans, je croyais que c’était à travers mon ordinateur. Puis plus tard, à 33 ans, je croyais qu’il y avait des caméras et des micros partout. Avec le temps, ce délire est devenu mystique, et alors là, je me croyais observée en permanence par le monde spirituel. En me croyant espionnée «de l’intérieur», je travaillai­s très fort à tenter de contrôler mes pensées, et c’était épuisant.

Que viviez-vous, alors que vous étiez au coeur de ce délire mystique?

Lorsque mon délire est devenu mystique, j’avais parfois des sortes d’expérience­s, des «ressentis» bien spéciaux, où j’avais l’impression de recevoir des messages de la part du monde spirituel. Dans l’une de ces expérience­s, j’ai cru voir le plan de l’univers, depuis sa création, et je croyais voir mon rôle dans ce plan. Je pensais y avoir vu que j’étais l’âme soeur de Jésus. Cela rendait mon épreuve encore plus douloureus­e, car je m’imaginais que mes pensées avaient beaucoup de pouvoir, donc il me fallait les contrôler encore plus.

Avez-vous pensé à vous enlever la vie durant ces épisodes?

Oui, car un jour j’ai cru que c’était la solution pour sauver tous les gens que j’aime. Mais l’idée de passer à l’acte me faisait très mal.

Quelle a été l’attitude de vos proches lorsqu’ils ont vu que votre santé chancelait?

Chaque personne a eu sa propre réaction: ma mère croyait que ce que je vivais, les délires, était vrai. Benoit, mon conjoint, était déstabilis­é, et je pense qu’il était très inquiet. Mes soeurs étaient probableme­nt inquiètes aussi. Mon père est le premier qui a réalisé que ce que je vivais était une psychose. C’est lui qui m’a fait voir un psychiatre et m’a obtenu des médicament­s antipsycho­tiques.

Vous avez un fils, Philippe. Quelles ont été vos réactions, vous qui perdiez les pédales, à son égard?

C’est avec Philippe que j’ai eu le moins d’attitudes étranges, car, même lors des délires, je me disais que c’était mon devoir d’être là pour lui. La plupart du temps, je continuais de lui faire à manger, de l’accompagne­r dans ses devoirs, et tout ça... Je gardais en moi les idées étranges, je n’en parlais pas.

Et de son côté, comment a-t-il vécu la maladie de sa mère?

C’est certain que l’ensemble de son enfance et de son adolescenc­e fut marqué par la présence d’une mère qui n’était pas tout à fait «là». Même si mes psychoses n’étaient pas permanente­s – loin de là – j’étais souvent fatiguée. Philippe a toujours été un être fort et déterminé. À travers tout ce qui se vivait, il réussissai­t à l’école et au travail, et il avait de bons amis. Je crois qu’il s’est servi de son expérience de vie comme d’un tremplin.

Qu’avez-vous trouvé le plus difficile lors de vos hospitalis­ations?

La chose la plus difficile fut l’absence de tout. J’étais laissée seule avec mes pensées obsédantes, et dans ce grand vide, je n’avais rien pour m’agripper.

Décrivez-moi une journée type alors que vous étiez internée, et ce qui vous déplaisait dans cette journée...

Je me levais vers 8 h, et une préposée venait me chercher pour m’emmener à la salle à manger. Là-bas, une télévision jouait en permanence, ce qui m’agressait beaucoup. Je n’avais pourtant pas le droit de manger ailleurs que là. En fait, je ne mangeais pratiqueme­nt pas de la journée. Ensuite, je passais des heures seule dans ma chambre.

Comment pourrait-on améliorer les soins psychiatri­ques dans les hôpitaux selon vous?

En offrant des services! Mais encore faut-il qu’ils soient adéquats. À un certain hôpital, des services furent implantés, et je fus témoin de cette situation: le thérapeute en charge allait frapper à la porte de toutes les personnes de l’étage de psychiatri­e pour les encourager à venir assister à une période d’activités libres. Il en réveillait plusieurs. Une fois dans le local, l’une des activités étant de faire jouer de la musique de son goût, plusieurs patients faisaient jouer du Death Metal. Je n’ose imaginer comment j’aurais vécu cette épreuve de me faire réveiller, puis de me retrouver pendant plus d’une heure, en pleine psychose, à endurer cette horreur qui parle de suicide. J’ai été chanceuse, finalement, de ne rien recevoir de cela. Il existe des modèles de services qui ont fait leurs preuves, et il serait grand temps de faire l’effort de les implanter.

D’après vous, pourquoi la maladie

« DANS L’UNE DE CES EXPÉRIENCE­S, J’AI CRU VOIR LE PLAN DE L’UNIVERS, DEPUIS SA CRÉATION, ET JE CROYAIS VOIR MON RÔLE DANS CE PLAN. JE PENSAIS Y AVOIR VU QUE J’ÉTAIS L’ÂME SOEUR DE JÉSUS » – Renée Charron

mentale est-elle tombée sur vous?

Actuelleme­nt, on croit que la cause de la schizophré­nie est multifacto­rielle; biologique, psychologi­que et sociale. Pour ce qui est de l’aspect biologique, les risques sont un peu plus grands d’être atteint de schizophré­nie si la famille en est atteinte. Et dans mon cas, mon grand-père a sans doute souffert de psychoses, même si un diagnostic ne fut jamais donné de façon claire.

La prise de médicament­s a occasionné chez vous de l’obésité, comment vivez-vous avec cette réalité?

Au début, je n’y accordais pas trop d’importance, car la souffrance de me retrouver ronde n’était rien comparativ­ement à celle de délirer. Aujourd’hui, j’ai développé des muscles intérieurs qui me permettent de faire face à cette réalité, et je suis heureuse malgré cela.

D’après vous, qu’est-ce qui fait que vous avez réussi à vous en sortir?

L’aide de mes proches fut très précieuse, et, de mon côté, je crois que j’ai su extraire les moindres manifestat­ions d’amour, car, même lorsque j’étais à l’hôpital, je m’accrochais à un sourire, une parole, une attitude... Et tout ça, pour moi, c’était de l’espoir. J’ai déployé les atouts que j’avais et j’ai découvert en moi une souplesse qui m’a permis de me regarder en face, de me remettre en question et de me pardonner à moimême mes anciennes façons d’être.

Vivez-vous avec l’espoir qu’un jour vous pourrez cesser de prendre des médicament­s?

Non, je vais les prendre toute ma vie, car chaque fois que j’ai tenté un arrêt, j’ai rechuté. La dernière fois, c’était il y a 10 ans. Et il est hors de question que je prenne à nouveau ce risque.

Êtes-vous plus heureuse aujourd’hui maintenant que vous connaissez votre diagnostic?

Oui, je suis heureuse au-delà de ce diagnostic, et le mot «schizophré­nie» ne me définit pas du tout. Il n’est qu’un mot pour identifier ma fragilité face aux psychoses...

Avez-vous peur encore aujourd’hui de revivre des épisodes psychotiqu­es?

Non, pas du tout. Les médicament­s que je prends sont pour moi une base qui m’assure une certaine stabilité, mais surtout, j’ai appris à n’écouter qu’une seule voix: la mienne. Celle qui vient de mon coeur et qui est douce pour moimême, et pour les autres.

Le mot «schizophré­nie», pour plusieurs, est un mot qui fait peur… Devrait-on avoir peur des schizophrè­nes?

La majorité des personnes atteintes de schizophré­nie sont des personnes tranquille­s, la plupart du temps timides, et très souvent isolées. Si elles sont dangereuse­s, c’est avant tout pour elles-mêmes. Et même si des incidents malheureux se produisent parfois, il faut savoir que, dans l’ensemble, les personnes atteintes ne sont pas dangereuse­s.

Quels conseils donnez-vous aux gens qui ont cette maladie pour qu’ils puissent avoir une vie normale?

Je leur dirais deux choses. Premièreme­nt, de développer leur voix intérieure personnell­e, bien ancrée dans le moment présent terre à terre et de ne plus fuir vers des univers colorés, qu’ils soient teintés d’ésotérisme ou d’autres croyances qui les éloignent de la simplicité du moment qui se vit. Et deuxièmeme­nt, je leur dirais que cette voix personnell­e qu’ils développen­t puise dans leur coeur toutes les douceurs qu’ils méritent, et qu’ils s’accordent eux-mêmes de la compassion.

Pourquoi avez-vous décidé d’écrire ce livre?

Mon but en écrivant ce livre était de partager ma traversée de la schizophré­nie, et en faisant cela, de contribuer à lutter contre la lourde stigmatisa­tion associée à cette maladie. Aussi, je souhaitais que les personnes atteintes et leurs proches puissent y trouver un espoir véritable.

Quel message aimeriez-vous transmettr­e aux proches des malades?

Je crois que la culpabilit­é est souvent présente chez les proches des personnes atteintes, et je les encourage à faire appel à un organisme venant en aide aux proches de la personne atteinte d’une maladie mentale, comme l’ALPABEM, afin de les aider à gérer ce lourd sentiment. Que les proches ne restent pas seuls, qu’ils profitent de l’entraide parmi d’autres proches aidants. L’impuissanc­e qu’ils vivent peut se transforme­r lorsqu’elle est partagée. Je leur dirais aussi de se donner du temps et un espace pour eux-mêmes. Et, en tant que personne ayant vécu des psychoses, je leur dirais d’être généreux en sourires et en paroles positives; l’espoir qu’ils apportent ainsi est inestimabl­e.

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COURTOISIE Renée Charron a publié un livre dans lequel elle raconte l’enfer que lui a fait vivre sa schizophré­nie. Elle parle aussi de ce qui lui a permis de refaire surface.PHOTO
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