Du grand théâtre dans le golfe persique
Une crise diplomatique déchire les Arabes. Une vaste pièce de théâtre régionale avec mise en scène grandiose: on y croise des Américains maladroits, des Saoudiens qui jouent les durs, des Qataris frondeurs, des Iraniens narquois et – ils sont partout ceux-là ces jours-ci – des pirates informatiques russes.
Le Qatar est un minuscule, mais richissime émirat du golfe Persique. Trois fois plus petit que la Gaspésie, il possède les troisièmes plus grandes réserves de gaz naturel et pour quinze milliards de barils en réserves pétrolières. Son PIB par habitant – 129 700 $ – en fait le pays le plus riche au monde.
L’opulence donne de l’audace et les Qataris, depuis des années, tombent sur les nerfs des Saoudiens. Ils ont soutenu les Frères musulmans, le Hamas dans les Territoires palestiniens et les islamistes en Libye. Ils ont ébranlé la région en créant la chaîne d’information Al Jazeera, un défi direct à l’influence saoudienne dans le monde arabe.
Pire que tout peut-être, le Qatar a fait le choix de la cohabitation pacifique avec son voisin d’outre-golfe, l’Iran. Crime de lèse-majesté pour les Saoudiens, obsédés par la concurrence que leur opposent les Iraniens pour le titre de superpuissance régionale.
COUP DE POING SAOUDIEN
De façon coordonnée il y a une dizaine de jours, l’Arabie saoudite, Bahreïn, les Émirats arabes unis et l’Égypte ont rapatrié leurs ambassadeurs.
Une série d’autres pays, sous pression saoudienne, ont emboîté le pas. Les Qataris dans certains de ces pays se sont vu montrer la porte, pendant que Qatar Airways se faisait interdire d’immenses espaces aériens dans la région.
L’Arabie saoudite ayant fermé l’unique frontière terrestre du Qatar, l’approvisionnement du petit émirat est menacé: environ 40 % de la nourriture traverse ces postes de douane, ainsi que les colossales quantités de matériaux de construction nécessaires aux grands projets engrangés, notamment les huit stades promis pour le Mondial de 2022.
Les tensions bouillonnaient entre l’Arabie saoudite et le Qatar depuis des années, mais plusieurs experts régionaux associent la décision saoudienne de passer à l’action à la récente visite du président américain.
Une visite au cours de laquelle Donald Trump a écarté la politique conciliatrice de Barack Obama (ni anti-Iran ni pro-Arabie saoudite) pour un soutien incontestable à Ryad.
TIRADE SUR TWITTER
En fait, le président Trump, à peine la décision des Arabes à l’égard du Qatar annoncée, s’est lancée dans une tirade anti-qatarie sur Twitter: «Bon de voir que la visite en Arabie saoudite rapporte déjà. Ils ont dit qu’ils adopteraient une ligne dure à l’égard du financement du terrorisme et tout pointait vers le Qatar. Ce sera peutêtre le début de la fin de l’horreur du terrorisme!»
Un coup de gueule déconnecté des relations que les États-Unis entretiennent avec l’émirat rebelle. 11 000 soldats y sont déployés et la base aérienne d’Al Udeid accueille le commandement des opérations américaines dans toute la région.
C’est de là que sont coordonnés les raids en Afghanistan, en Irak et en Syrie. De plus, les Qataris viennent d’acheter pour 21 milliards de dollars en armements américains, dont 12 milliards pour 36 avions de combat F-15.
On rapporte que des cyberpirates russes ont réussi à publier sur le site de l’agence de presse qatarie de faux propos attribués au cheikh Tamim ben Hamad Al-Thani, des propos flatteurs à l’égard de l’Iran et critiques des États-Unis.
La chicane est prise entre les alliés américains du golfe et un spectateur a le grand’sourire: Vladimir Poutine.