Immersion en eaux profondes
La Britannique Paula Hawkins, à qui on doit La fille du train, nous revient avec un nouveau roman qui risque de faire des vagues.
Sans crier gare, l’écrivaine britannique Paula Hawkins a signé l’un des plus gros best-sellers de 2015: dès l’instant où il a été publié, La fille du train a en effet caracolé à toute vapeur en tête des palmarès de ventes (il s’est écoulé à plus de 18 millions d’exemplaires dans le monde!), et même la célèbre maison de production DreamWorks Pictures s’est manié le train pour en adapter l’intrigue sur grand écran.
Après pareil succès, les attentes étaient donc presque aussi élevées que les blancs sommets himalayens. «Heureusement, j’ai commencé à écrire Au fond de l’eau avant que La fille du train soit publié, explique Paula Hawkins, qu’on a pu joindre au téléphone lors de son récent passage à Paris. Avoir l’histoire et les personnages bien en tête m’a ainsi beaucoup aidée, parce qu’à cause des voyages et de toutes les tournées promotionnelles liées à la parution de La fille du train, il a souvent fallu que j’en interrompe la rédaction. Mais le plus difficile a évidemment été d’essayer d’écrire quelque chose susceptible de plaire autant. Car même si je ne devrais pas m’en plaindre, quantité d’auteurs rêvant de cauchemarder pour des raisons similaires, j’étais carrément terrifiée à l’idée de savoir que ce sur quoi je travaillais allait bientôt être lu et critiqué par un très grand nombre de personnes…»
DE L’ORDALIE AUX SUICIDES
Autant le préciser tout de suite, Au fond de l’eau n’a rien à voir avec La fille du train. «Avec ce roman, j’ai surtout tenu à immerger les lecteurs dans une atmosphère angoissante pleine de fantômes du passé et de vieux squelettes profondément enfouis dans les placards, précise Paula Hawkins. En Europe, aux 16e et 17e siècles, plus de 65 000 innocents, arbitrairement accusés de sorcellerie, ont été torturés et tués de façon horrible. Et la plupart d’entre eux ayant surtout été des femmes vivant en marge de la société (simples d’esprit, guérisseuses, sages-femmes, etc.), ces persécutions m’ont hantée pendant toute la rédaction d’Au fond de l’eau.»
En 2015, Jules Abbott apprendra ainsi, en même temps que nous, que sa soeur Nel, qui était obsédée par la rivière traversant leur ville natale, a été retrouvée dans les eaux troubles du bassin de Beckford. Un bassin isolé où plusieurs sorcières ont jadis péri en se soumettant à l’ordalie (une épreuve judiciaire où elles étaient ligotées et jetées à l’eau afin de voir si leurs pouvoirs pouvaient aussi leur permettre d’échapper à une mort certaine!) et où, beaucoup plus récemment, plusieurs femmes du coin se sont noyées de force ou de gré.
Ayant depuis longtemps coupé les ponts avec Nel, Jules devra alors bien retourner à Beckford pour répondre aux questions des policiers et s’occuper de sa nièce Lena, une adolescente de 15 ans à la fois perturbée par la disparition de sa mère et par celle de sa meilleure amie, survenue quelques mois plus tôt, dans des circonstances presque identiques. «Le bassin de Beckford n’existe pas, souligne Paula Hawkins. En revanche, il existe dans le monde plein d’endroits aussi commodes que lui pour se suicider… ou se débarrasser de celles qui dérangent.»
PAS PIRE EAU QUE L’EAU QUI DORT
Avec Au fond de l’eau, Paula Hawkins fera du coup remonter à la surface tous les tourments dont les femmes sont souvent victimes (violence conjugale, harcèlement, discrimination, infidélité, jalousie, rivalité, etc.) pour nous amener à plonger tête première dans un récit imprégné de mystères. «Je ne peux pas dire comment l’idée m’est venue, mais j’ai eu envie de relater l’histoire de deux soeurs, ajoute la romancière. L’une qui allait être fascinée par l’eau et l’autre qui en aurait peur à cause d’un cuisant souvenir de jeunesse, un même événement pouvant parfois être vécu et perçu de manière totalement différente…»
Nel n’étant plus là pour se défendre et exposer sa version des faits, l’auteure donnera donc la parole à plusieurs habitants des environs: l’inspecteur en chef Sean Townsend – qui a sans le vouloir assisté à l’âge de 5 ans au dernier plongeon de sa mère –, Louise Whittaker – l’ennemie jurée de Nel – ou Nickie Sage – une spirite issue d’une longue lignée de sorcières – ayant beaucoup de choses à raconter sur les tragédies qui, au fil du temps, ont marqué ce petit village du nord de l’Angleterre. Un roman choral qui n’a pas remporté l’unanimité des voix, mais qui nous offre quand même un bon moment de
lecture.