Un lac, un bois, un envoûtement
François Lévesque écrit des romans policiers (incidemment, il est aussi journaliste culturel au quotidien Le Devoir, spécialisé en cinéma) et il commence à avoir une jolie panoplie d’oeuvres à son actif. D’où la pertinence de l’avant-propos qui ouvre En ces bois profonds, son tout récent roman: «Il s’agissait d’explorer un univers merveilleux, assez éloigné des régions tortueuses que je fréquente habituellement», explique-t-il.
L’inspiration est claire. D’abord, par le titre, la référence à un poème d’Anne Hébert: «N’allons pas en ces bois profonds/À cause des grandes fontaines/Qui dorment au fond». Et Salem, de Stephen King, roman d’effroi où les vampires grattent aux fenêtres, rappelle Lévesque. «J’ai finalement décidé d’ouvrir la fenêtre», écrit-il. Et de fait, dès la première page de son récit, l’esprit entre, s’installe et ne partira plus: «Tapi sous la brume, tapi sous l’eau dormante… quelque chose…»
L’histoire nous est racontée par une adolescente complexe et tourmentée qui vit avec Isabelle-Marie, sa mère, «ni vraiment danseuse, ni vraiment serveuse», inattentive à sa progéniture. Une mère par ailleurs associée à un drame célèbre qui a frappé, il y a des années, un village du nord du Québec où les légendes autochtones ont encore une portée. Neuf pendus retrouvés dans la maison au bord du lac où Isabelle-Marie vivait avec sa mère et un gourou, qui mourra à son tour, assassiné à coups de hache.
Isabelle-Marie a dès lors fui en ville. Sauf qu’un appel vient maintenant bouleverser sa vie: sa mère est morte et il faut rentrer tant pour les funérailles que pour voir aux dispositions testamentaires. Isabelle-Marie et son ado prennent donc la route, au bout de laquelle les attend un curieux testament.
On aura compris, il y a ici tous les ingrédients classiques pour faire frissonner. Encore faut-il, pour sortir de la recette, y ajouter un supplément d’âme. François Lévesque y arrive à merveille.
D’abord parce qu’il sait rendre les tourments de l’adolescence, thème récurrent dans ses romans. Nous sommes dans la peau de cette jeune fille à part des autres, laide, épileptique et rejetée. Ensuite parce qu’il a le regard pour planter un décor: la maison de campagne du roman, c’est celle que vous avez déjà fréquentée à la faveur d’un séjour dans un chalet du Québec. Pas trop d’efforts à faire pour imaginer l’ambiance qui peut y régner sous les ombres de la nuit et celles, macabres, du passé.
Surtout, l’écriture est maîtrisée, collant aux désarrois de la narratrice. Les mots sont choisis avec soin et les paragraphes tiennent souvent en une seule phrase, nous laissant en suspens. Où nous mène-t-elle, cette adolescente rebelle, intelligente, aux sens aiguisés? Vers un drame, c’est sûr, mais lequel? Comment? Pourquoi?
On avance donc avec curiosité, envoûté par ce récit qui se révèle à petites touches, porté par le malêtre d’une jeune femme en quête de repères. La fenêtre ouverte par François Lévesque ne se laisse pas facilement refermer. Collaboration spéciale