La diplomatie du coin de fauteuil
WASHINGTON | Être accueilli dans le Bureau ovale de la Maison-Blanche et avoir droit à un tête à tête dans le Saint des Saints de la république américaine, c’est le rêve de la majorité des dirigeants de la planète. Le président ukrainien, Petro Porochenko, s’est drôlement débattu pour son propre sit-in devant la cheminée présidentielle sous le portrait de Washington. Hier, c’était son tour. Et il n’a pas raté sa chance.
Pas que le président Trump soit chiche avec ses visiteurs : au dernier décompte, il a reçu, en cinq mois sur Pennsylvanie Avenue, une vingtaine de chefs d’État et de gouvernements. Une impressionnante moyenne.
Le président de l’Ukraine voulait faire partie du lot le plus vite possible. Dans une quinzaine de jours, au sommet du G-20 à Hambourg, en Allemagne, Donald Trump doit rencontrer Vladimir Poutine pour la première fois. On ne parlera, à ce moment-là, que de ça.
Porochenko, pour en passer une p’tite vite au président russe et passer son message au président américain, voulait rapidement bloquer son propre rendez-vous à la Maison-Blanche. Il l’a mérité, parce que Donald Trump ne lui a pas facilité la vie.
LES POMPES ET TOUT LE TRALALA
Donald Trump aime bien déployer le faste de la fonction pour impressionner ses visiteurs
Si Donald Trump – dans son style, son ton et son vocabulaire – ne se montre pas toujours très présidentiel, il aime bien, en contrepartie, déployer le faste de la fonction pour impressionner ses visiteurs. L’entrée, d’abord, dans les jardins nord de la Maison-Blanche le long d’une enfilade de militaires en tenue d’apparat portant les étendards de leurs bataillons; puis, l’accueil officiel aux portes de la West Wing, tout juste avant le tête-à-tête dans le Bureau ovale.
Le succès des succès, c’est lorsque le président américain offre à son invité de l’accompagner sous la colonnade, les deux marchant, complices, des espaces de travail aux appartements privés ou vice versa. Le premier ministre Justin Trudeau, par exemple, a eu droit à tout cela.
Petro Porochenko, à la tête de 45 millions d’Ukrainiens et du plus grand pays d’Europe après la Russie, a dû se contenter du strict minimum : une rencontre discrète avec le vice-président, Mike Pence, suivi d’un drop-in – en principe, des salutations rapides – dans une réunion du président avec son conseiller à la sécurité nationale, H.R. McMaster.
SAUTER SUR L’OCCASION
C’est à ce moment-là qu’on nous a laissés – nous, les correspondants – entrer dans le Bureau ovale. Les deux présidents occupaient chacun leur fauteuil, côte à côte. Donald Trump a évoqué «le grand honneur d’être avec le président Porochenko». «Nous avons eu de très très bonnes discussions», a-t-il ajouté, «et je pense que beaucoup de progrès ont été accomplis».
Après un moment de silence, il a demandé à son invité s’il voulait dire quelque chose; il n’a pas eu à insister. Petro Porochenko a évoqué le combat des Ukrainiens pour la liberté et la démocratie «avec votre très solide soutien en matière de sécurité et de défense».
Puis d’ajouter, un peu mielleux, qu’il admirait le leadership de Donald Trump : «Je suis absolument convaincu que nos efforts conjoints apporteront la paix à notre pays, en protégeant notre souveraineté et notre intégrité territoriale.»
Le président américain, vaguement bouche bée, lui a tendu la main, l’a remercié et répété que «c’est un grand honneur». Et pour Porochenko, c’était mission accomplie : devant les caméras du monde, il a rappelé que l’Ukraine a été agressée par la Russie et continue d’être menacée. Si vous croisez Vladimir Poutine, dites-lui que rien n’est oublié.