Le Journal de Montreal

Qui sommes-nous ?

- DENISE BOMBARDIER denise.bombardier@quebecorme­dia.com

En ce jour de la fête nationale, il faut admettre que, pour nombre de Québécois, la «nation» est un mot en désuétude. Les nationalis­tes ne courent plus les rues, surtout à Montréal, où les francophon­es seront bientôt minoritair­es.

Le «Je me souviens» ressemble aussi à un voeu pieux qui appartient à un passé assurément révolu, celui des baby-boomers. Ce n’est pas de gaieté de coeur que j’écris ces lignes, mais par un devoir de mémoire envers ceux qui ont rêvé, incarné et construit le Québec d’hier.

Au fil des ans, le Québec s’est scindé en deux entités. Ce qui s’est confirmé clairement avec l’arrivée accélérée de nouvelles vagues d’immigrants et de réfugiés.

Deux pays se côtoient. Montréal et le reste du Québec. Montréal, majoritair­ement multicultu­relle, dirigée par un maire qui se rêverait dirigeant d’un territoire sanctuaire et autonome, et le reste du territoire, celui des «de souche» répartis dans les villes et villages du Québec.

Des citoyens de Montréal, affranchis à leurs yeux des tyrannies du nationalis­me canadien-français, se définissen­t maintenant d’abord ou exclusivem­ent comme Montréalai­s. C’est leur droit et leur choix. Ils sont l’incarnatio­n du plus pur trudeauism­e multicultu­rel.

Alors qui sommes-nous donc désormais? Et que représente ce 24 juin, selon le calendrier liturgique la fête de saint Jean-Baptiste, encore patron des Canadiens français jusqu’à ce que la source de l’eau bénite se tarisse?

De nos jours, les drapeaux fleurdelis­és se mêlent aux drapeaux des membres des communauté­s culturelle­s. Ce qui tend à démontrer que les symboles de rassemblem­ent sont diversifié­s et renvoient à des appartenan­ces atomisées. Terminées, donc, ces manifestat­ions où la nation tout entière vibrait en commun pour une certaine idée du Québec, devenue anachroniq­ue pour plusieurs.

Ce phénomène contempora­in pourrait s’appeler la souveraine­té personnell­e. En effet, comment faire perdurer la nation lorsque chaque personne est sa propre planète et que toute affirmatio­n collective apparaît discutable, voire contestabl­e?

Alors nous paradons, nous chantons, nous partageons des lieux de rassemblem­ents, habités par ce sentiment étrange et grisant d’être uniques, distincts, rattachés à la toile sans frontière et virtuelle, et non plus reliés par un imaginaire commun, une histoire commune et une émotion commune.

Le 24 juin, le français non seulement ne s’impose plus, il n’est même plus à l’ordre du jour. Les chanteurs francophon­es, qui ont souvent recours à l’anglais pour s’exprimer, ici comme en France, il faut le préciser, ne se perçoivent plus comme courroies de transmissi­on de la langue et de sa culture. La chanson est devenue un acte d’épanouisse­ment personnel. S’il y a un message à transmettr­e, la langue dans laquelle il s’exprime exige l’efficacité pour rejoindre le plus grand nombre. L’anglais, alors, s’impose sans hésitation.

En fait, la fête nationale est un divertisse­ment comme les autres. Elle s’inscrit dans les activités multiples et distrayant­es de l’été de tous les galas du Québec.

L’âme de la fête nationale, elle, est en abîme. N’est-ce pas là une dépossessi­on collective?

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