Le Journal de Montreal

ELLE APPREND À S’AIMER

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La plus grande épreuve qu'aura surmontée Bianca Goudreault Beaupré au secondaire n'aura pas été les examens de math ou de français, mais celle d'accepter son corps.

Avec sa posture droite, ses longs cheveux ondulés et ses yeux pétillants, impossible de deviner que l’estime de soi est son talon d’Achille. Mais il suffit de sortir un appareil photo pour s’en rendre compte. Incertaine, elle rit nerveuseme­nt à presque chaque prise.

Tout a commencé à la fin du primaire, se rappelle sa mère, Nathalie Goudreault. «On était allés lui acheter un costume de bain. Elle ne voulait pas sortir de la cabine. On l’entendait pleurer, tellement elle ne s’aimait pas. On s’est mis à pleurer avec elle, son père et moi.»

Elle n’a pourtant jamais eu de réel problème de poids, s’étonne sa mère. «C’est juste que ses amies étaient plus petites qu’elle», explique-t-elle.

La situation a empiré. «En 2e secondaire, c’était vraiment grave. Je ne me suis pas baignée pendant deux étés […] J’avais peur d’aller magasiner. J’évitais les magasins où il n’y avait pas de miroir dans les cabines pour ne pas avoir à sortir devant tout le monde», se souvient Bianca.

Elle se remémore sa réaction lorsqu’une de ses amies s’est fait un copain. «Pour moi, c’était impensable. C’était trop stressant. Je voulais apprendre à m’aimer avant de pouvoir être aimée par quelqu’un d’autre.»

SES AMIES AUSSI

Ce qu’elle a vécu s’inscrit dans une tendance qui la dépasse, puisque ses amies sont elles aussi complexées par leur peau, leurs fesses ou leurs seins, observe-t-elle. «C’est tellement con», soupire-t-elle.

En 3e secondaire, elle a décidé de s’inscrire au gym. En quelques mois, elle en a senti les bienfaits psychologi­ques. Puis son corps s’est mis à changer. Elle avait l’habitude de porter des tailles 7, elle porte maintenant des tailles 3. Peu à peu, elle a commencé à oser les vêtements plus serrés, des robes, ce qu’elle n’aurait jamais fait avant.

C’est elle qui a suggéré au Journal le terme «libérée» pour la qualifier, car son corps occupe maintenant moins de place dans son esprit. «Avant, je devais aller au gym avant de faire mes devoirs. Maintenant, je peux faire mes devoirs avant d’aller au gym […]. On devient plus mature. On comprend que [l’apparence], ce n’est pas si important.» Et la cerise sur le gâteau: elle s’est fait un copain cet hiver, un garçon qui est rendu au cégep. «C’est plaisant de se lever le matin et de savoir que quelqu’un t’aime comme tu es.»

À l’automne, elle commencera une technique en réadaptati­on physique au cégep. Son choix de carrière vient de son désir d’aider, de faire une différence. Mais ce n’est pas une coïncidenc­e si cela passe par le corps des autres. «Je veux qu’une personne âgée marche mieux grâce à moi. Je veux aider les gens à s’aimer. Des fois, après un accident, il y en a qui perdent confiance. Qui se demandent si les gens vont encore les aimer», illustre-t-elle.

Dans dix ans, elle se voit avec deux ou trois enfants. Mais surtout, avec une confiance béton. «Je veux m’aimer à 100 %. Je dirais que je suis rendue à 80%. Ça dépend des jours. Il y en a où je me sens comme une baleine. D’autres où je me trouve vraiment correcte.» Pendant tout ce temps où son corps aura été son combat, ses notes n’ont jamais été un problème. «On l’a toujours encouragée, mais honnêtemen­t, on n’a jamais eu à la forcer», dit Mme Goudreault, impression­née de voir sa fille unique être si studieuse. Ses deux parents n’ont pas terminé leur secondaire. Son père est peintre en bâtiment, sa mère travaille dans une pâtisserie.

INSPIRATIO­N

«Petite, elle aimait mieux recevoir des livres que des jouets en cadeau. Elle nous demandait des Harry Potter, illustre-t-elle. On se disait: ‘‘On va lui acheter et elle ne le lira même pas.’’ Au contraire. Elle arrivait dans les dernières pages et nous disait: ‘‘Il va me falloir un autre livre’’.»

Mme Goudreault a abandonné l’école en 1re secondaire, notamment par nécessité, pour travailler et aider sa mère à payer l’épicerie. Aujourd’hui, sa fille l’a largement dépassée. «Je voulais mettre une annonce sur Kijiji. Bianca m’a dit: ‘‘Maman, montre-moi ça, sinon tu vas faire des fautes d’orthograph­e’’. Des fois, c’est gênant pour moi», avoue-t-elle.

Mais tout cela la fait réfléchir. Elle se reconnaît dans la grande déterminat­ion de Bianca. «Je me dis que j’aurais peut-être

« EN 2E SECONDAIRE, C’ÉTAIT VRAIMENT GRAVE. JE NE ME SUIS PAS BAIGNÉE PENDANT DEUX ÉTÉS. J’ÉVITAIS LES MAGASINS OÙ IL N’Y AVAIT PAS DE MIROIR DANS LES CABINES POUR NE PAS AVOIR À SORTIR DEVANT TOUT LE MONDE. » – Bianca Goudreault Beaupré

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PHOTO DOMINIQUE SCALI ET BEN PELOSSE ( Ci-contre ) Bianca Goudreault Beaupré. ( Plus haut ) Avec ses parents, Nathalie Goudreault et Robert Beaupré, au bal des finissants. BIANCA GOUDREAULT BEAUPRÉ 17 ans, la libérée Dans 10 ans, elle rêve d’être thérapeute, voire ergothérap­eute ou...

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