Le Journal de Montreal

ELLE N’A PAS LA LANGUE DANS SA POCHE

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Marguerite Pembe Kibangou affronte les chicanes d’école comme ses adversaire­s à la boxe. «Yo, si tu pleures, je te gifle», a-t-elle récemment dit à une amie avec qui elle venait de se réconcilie­r.

«On n’est tellement pas fleur bleue», dit en riant cette potineuse de haut calibre, qui peut cartograph­ier toutes les tensions et alliances qui existent au sein de sa classe. «J’aime tellement parler que je parle dans mon sommeil. C’est vrai, des fois ma mère me filme.»

Dans sa minuscule chambre où souffle un ventilateu­r à moitié brisé, elle se tient la tête haute, le menton fier. Elle vit dans un appartemen­t du quartier Centre-Sud, seule avec sa mère, ses deux grandes soeurs de 29 et 33 ans ayant déjà leurs vies à elles.

Elle a grandi à cheval entre le Québec et l’Afrique. Sa mère est moitié congolaise, moitié gabonaise. Elle a fondé une école au Gabon, qu’elle dirige toujours à distance. Son père vient du Congo et est enseignant de français au secondaire dans une autre école. Ses parents sont séparés, son père ayant une nouvelle femme et d’autres enfants.

Née à Montréal, elle est partie au Gabon avec sa mère avant l’âge de 9 ans. Elle a ensuite insisté pour revenir à l’adolescenc­e. «Il y a aussi que toutes mes cartes et mon passeport allaient bientôt périmer», rigole-t-elle.

« JE N’AI PAS AGI »

Elle a donc fait son entrée en 4e secondaire à Pierre-Dupuy. «Maggie» a dû se tailler une place parmi des gangs d’amis déjà cristallis­és. Elle a parfois joué les médiatrice­s au sein de disputes, raconte-t-elle. En fait, elle a l’impression d’avoir appris autant, sinon plus, en réglant ses propres chicanes qu’en écoutant en classe.

Un épisode qui l’a particuliè­rement marquée est celui d’une amie qui a commencé à être rejetée, voire intimidée. «J’étais en froid avec elle à ce moment-là, alors je n’ai rien fait. Je n’ai pas agi. Quand j’y repense, ça me fait tellement mal. Je ne m’étais jamais sue aussi méchante. Je revois chaque scène dans ma tête.»

Reste qu’en général, c’est elle qui crève les abcès quand il y a des tensions, remarque-t-elle. Elle a déjà affronté une camarade qui semblait lui en vouloir au moment d’une sortie de groupe. «Je lui ai dit: ‘‘on règle ça tout de suite ou l’une de nous deux ne monte pas dans l’autobus’’.»

Son attitude virile, elle l’a d’abord acquise auprès de ses cousins. «J’ai appris à m’imposer au milieu d’une gang de gars têtus. Quand ils se battaient, j’étais tout le temps au milieu et je me prenais des coups. J’essayais de ramener l’ordre», se souvient-elle.

Elle a aiguisé son sens de la répartie au Gabon, où même la plus petite des filles refuse de se laisser marcher sur les pieds, explique-t-elle. «J’ai toujours une réponse bien préparée.»

Pas étonnant qu’elle souhaite devenir avocate en droit pénal. «J’aime montrer que, même quand j’ai tort, je peux défendre mon point.» L’automne prochain, elle ira en sciences humaines, dans le profil individu, au collège privé Brébeuf. «Le nec plus ultra des cégeps», se félicite-t-elle. «Je ne m’attendais même pas à être prise. C’est cher, mais mes parents ont dit qu’ils allaient payer», s’étonne celle qui adore les maths et déteste l’histoire.

En attendant, elle pratique la boxe pour sortir son trop-plein d’énergie. «C’est le seul endroit où je peux taper quelqu’un qui ne m’a rien fait», lancet-elle. «Une amie m’a déjà dit: ‘‘c’est tellement difficile de t’aimer, toi.’’ J’en ai complèteme­nt conscience.»

PAS DE CÂLIN, S’IL VOUS PLAÎT

Même physiqueme­nt, les marques d’affection la rebutent. «Je pense que c’est une phobie. Quand des amies viennent poser leur tête sur mon épaule, je suis comme: ‘‘aaaah!’’»

Cela peut d’ailleurs lui compliquer la vie avec les garçons. Elle a eu un copain pendant quelques mois. «Il était tellement beau. Mais tellement tactile. Ça ne fittait juste pas», résume-t-elle.

«Avec un peu de chance, je vais avoir des enfants comme moi, c’està-dire pas trop tactiles», rigole-t-elle. D’ailleurs, elle en veut beaucoup, des enfants, dès qu’elle aura terminé le Barreau. «Je veux toute une équipe de soccer», illustre-t-elle. Et si jamais elle se marie un jour, elle a la ferme intention de se rendre à la cérémonie en espadrille­s.

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MARGUERITE PEMBE KIBANGOU 16 ans, la potineuse Dans 10 ans, elle veut être avocate en droit pénal et avoir autant d’enfants qu’une équipe de soccer.

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