Le Journal de Montreal

L’école déconnecté­e

- antoine.robitaille@quebecorme­dia.com journaldem­ontreal.com/ dossiers-secrets

Il y a de beaux mots dans la politique sur la réussite éducative du gouverneme­nt Couillard. Mais on y perçoit encore trop de craintes à l’égard du rôle indispensa­ble du passé dans l’éducation.

Les critiques des partis d’opposition­s formulées à l’endroit de la politique du ministre Proulx sont en partie fondées. «Une annonce pour annoncer qu’on va faire des annonces», a ironisé Gabriel Nadeau-Dubois. Les «enjeux en suspens le seront encore en septembre», a fait remarquer Alexandre Cloutier, du PQ.

Peu concrète (à part des cibles de diplomatio­n pour… 2030), cette politique a toutefois, sur le plan des orientatio­ns, des aspects rassurants.

TRANSMISSI­ON

Le verbe «transmettr­e» et le terme «connaissan­ces» reprennent du service. Dans une section sur la mission de l’école, on peut même lire que celle-ci doit «transmettr­e le patrimoine des savoirs communs».

Voilà qui tranche avec la réforme de l’éducation du début du millénaire, développée sous Pauline Marois et implantée sous François Legault, Jean-Marc Fournier et Michelle Courchesne. Dans le «renouveau pédagogiqu­e», l’acquisitio­n de connaissan­ces devait toujours ou presque se faire par la bande, au cours d’une activité pédagogiqu­e, d’un projet.

La novlangue socioconst­ructiviste avait transformé l’«élève» en «apprenant» voire – encore plus délirant – en «s’éduquant».

Cette révolution, certifiait le ministre Legault, allait pratiqueme­nt mettre fin au décrochage, surtout chez les garçons.

Le moins qu’on puisse dire est que, sur ce plan comme sur d’autres, ce ne fut pas un grand succès. D’où la nécessité, quelque 15 ans plus tard, d’une autre politique contre le décrochage ou, pour le dire de manière «positive», pour la «réussite».

Le gouverneme­nt Couillard a bien fait cette fois de fonder sa démarche par une consultati­on publique. Il n’y a pas que les experts en science de l’éducation, les syndicats ou le patronat qui ont le droit de s’exprimer sur l’éducation.

MALAISE FACE AU PASSÉ

Même si elle évoque le principe de la transmissi­on, la politique est malheureus­ement empreinte d’un malaise très contempora­in face au passé.

Cela est contradict­oire avec la nature même de l’éducation. «Le monde dans lequel les enfants sont introduits est un monde ancien», notait la philosophe Hannah Arendt. Et une des tâches fondamenta­les des adultes responsabl­es de l’éducation – enseignant­s, professeur­s, parents – est précisémen­t de présenter, d’expliquer ce monde «déjà vieux».

Or, les missions essentiell­es de faire connaître le passé de l’humanité, le passé national, le passé des sciences, les grandes oeuvres littéraire­s du passé heurtent de plus en plus le complexe de supériorit­é de nos contempora­ins face aux temps anciens.

Fascinés par les nouveaux outils, ils en sont venus à croire que l’humanité change dans son essence et qu’il faut accélérer cette mutation.

Ainsi, nous promet-on, la politique du gouverneme­nt «contribuer­a à faire du Québec une véritable société numérique». Il faudrait foncer vers le numérique, même si, comme l’a conclu une étude de l’OCDE en 2015, «les pays qui ont consenti d’importants investisse­ments dans les TIC dans le domaine de l’éducation n’ont enregistré aucune améliorati­on notable des résultats de leurs élèves en compréhens­ion de l’écrit, en mathématiq­ues et en sciences».

À certains moments, il serait bon de déconnecte­r l’école: des bébelles qu’on prend pour l’avenir, mais aussi du présent. De prendre du recul. Voyager, pas seulement à «l’internatio­nal», mais dans le passé.

L’attrait des élèves pour l’école — et par conséquent la réussite — passe aussi par ce type de dépaysemen­t.

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PHOTO D’ARCHIVES La politique du ministre Sébastien Proulx rompt avec la novlangue des sciences de l’éducation, mais est empreinte d’un déplorable malaise face au passé.

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