Le Journal de Montreal

Ils se disent discriminé­s par une loi visant à les protéger

- CATHERINE MONTAMBEAU­LT

Des personnes âgées se disent victimes de discrimina­tion de la part de propriétai­res d’immeubles à logements depuis qu’une loi visant à protéger les locataires aînés a été adoptée.

Violette Deprés, une Montréalai­se de 60 ans, est en quête d’un appartemen­t depuis près de six mois. Chaque fois qu’elle visite un logement, le propriétai­re lui demande systématiq­uement son âge et son revenu avant de la refuser. Et Mme Deprés ne serait pas la seule à vivre cette situation.

«Ça commence vraiment à être un problème», confirme Martin Blanchard, coordonnat­eur au Comité logement de La Petite-Patrie. «On se fait dire par de plus en plus de personnes âgées qu’elles ont de la difficulté à se trouver un logement à cause de leur âge.»

35 DEMANDES REFUSÉES

Depuis juin 2016, la loi 492 interdit aux propriétai­res immobilier­s d’expulser des locataires de 70 ans et plus si ceux-ci occupent leur logement depuis plus de 10 ans et sont admissible­s au programme Habitation­s à loyer modique (HLM).

Conséquemm­ent, plusieurs loueurs refuseraie­nt désormais de louer un logement à des aînés, particuliè­rement lorsque ceux-ci ont un faible revenu, sous prétexte qu’ils sont protégés par cette loi.

«Les pires, ce sont les coopérativ­es d’habitation, constate Violette Deprés. […] J’ai fait au moins 35 demandes et, partout, on m’a refusée. Je leur dis que j’ai plus de 50 ans et on ne me rappelle pas.»

Alors qu’elle vit dans le même immeuble depuis 34 ans, Mme Deprés a appris en décembre dernier que son propriétai­re souhaitait reprendre l’appartemen­t où elle habite pour y installer son fils. Conforméme­nt au Code civil du Québec, la sexagénair­e a donc six mois pour se dénicher un nouveau toit.

«Je ne sais pas ce qui va arriver si je ne trouve pas quelque chose d’ici le 1er juillet, confie Mme Deprés l’air abattu. J’aime mieux ne pas y penser. J’ai énormément pleuré. J’ai l’impression d’avoir vieilli de 10 ans dans les derniers mois.»

ENCOURAGÉS À DISCRIMINE­R

Selon plusieurs organismes, les propriétai­res d’immeubles sont encouragés par la corporatio­n qui les représente à faire ainsi preuve de discrimina­tion.

Martin Blanchard explique que lorsque le projet de loi 492 a été élaboré, la Corporatio­n des propriétai­res immobilier­s du Québec (CORPIQ) avait «menacé le gouverneme­nt en disant que les propriétai­res allaient réagir en ne louant plus leurs logements à des aînés».

Selon lui, la CORPIQ met actuelleme­nt sa menace à exécution, notamment en diffusant un sondage maison qui indique que 51 % des propriétai­res hésitent à louer un logement à un aîné ou refusent de le faire. «Au lieu de condamner les gestes de leurs membres et de faire de l’éducation de ce côté-là, le CORPIQ encourage ça, dit M. Blanchard. Nous, ce qu’on voit là-dedans, c’est du chantage.»

ÉVICTIONS PRÉVENTIVE­S

Le Réseau FADOQ partage le même avis. «L’organisati­on qui représente les propriétai­res encourage carrément ses membres à la désobéissa­nce civile», lance Caroline Bouchard, conseillèr­e Affaires publiques.

En plus de bouder les personnes âgées, certains propriétai­res procéderai­ent également à des «évictions préventive­s», en expulsant de leurs immeubles les locataires qui approchent de 70 ans.

«On reçoit beaucoup d’appels de locataires aînés qui nous disent que leur propriétai­re essaie par tous les moyens de les mettre dehors», mentionne Carole Boucher, coordonnat­rice au Comité logement du Plateau Mont-Royal. «Il y a énormément de pression sur eux pour qu’ils partent, et certains n’ont plus l’énergie de se battre.»

Mme Boucher raconte qu’une femme de 80 ans s’est notamment fait «intimider» par son propriétai­re et a accepté de quitter le logement où elle vivait depuis 40 ans parce qu’elle «ne voulait pas finir sa vie dans la chicane».

« LES PIRES, CE SONT LES COOPÉRATIV­ES D’HABITATION. J’AI FAIT AU MOINS 35 DEMANDES, ET PARTOUT, ON M’A REFUSÉE. JE LEUR DIS QUE J’AI PLUS DE 50 ANS ET ON NE ME RAPPELLE PAS. » – Violette Deprés

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PHOTO CATHERINE MONTAMBEAU­LT Violette Deprés, 60 ans, dit être incapable de se trouver un logement à cause de son âge.

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