Le Journal de Montreal

Elle veut aider les victimes à porter plainte

Geneviève Bernatchez est devenue la première femme procureure en chef des Forces canadienne­s

- GUILLAUME ST-PIERRE

OTTAWA | Entrée par « hasard » dans la marine il y a 30 ans, la Québécoise Geneviève Bernatchez est devenue, cette semaine, la première femme à occuper le prestigieu­x poste de procureur en chef des Forces armées canadienne­s. La mère de deux adolescent­s arrive dans ses fonctions à une période cruciale pour le droit militaire, qui tente de redorer son blason en matière de traitement des cas d’agressions sexuelles. Vous êtes la première femme à obtenir le poste de juge-avocat général (JAG). Est-ce le signe que les temps changent ?

C’est un message institutio­nnel important. On me donne ce poste à cause de mes compétence­s, à cause de mon parcours profession­nel. Mais le fait que je sois une femme est important, il faut le dire. C’est un message généralisé aux femmes qui indique que des plafonds de verre se brisent un peu partout.

Est-ce que le discours féministe du premier ministre Justin Trudeau a contribué à votre nomination ?

Je pense que discours politique ou pas, les temps changent. C’est certain qu’il y a une ouverture et un climat favorable à l’inclusion, à la diversité. Ce que j’y vois, c’est surtout un accompliss­ement après 30 ans de dur labeur de ma part.

En tant que femme, comment avez-vous navigué dans les Forces ?

Que ce soit dans les Forces armées canadienne­s, dans les forces policières, ou pour les pompières, c’est sûr qu’il faut avoir de la drive. Il faut avoir de l’énergie, de la volonté. J’ai fait mon petit bonhomme de chemin avec l’aide exceptionn­elle de mentors. J’ai aujourd’hui moi-même la responsabi­lité de coacher de jeunes femmes et de jeunes hommes au sein de mon cabinet, pour leur donner leur chance.

Vous êtes la première femme à avoir été nommée à ce poste après 14 hommes. Est-ce que cette période d’attente a été trop longue ?

Je ne suis pas certaine. Il y a eu un cheminemen­t social et institutio­nnel. Les bons individus, qui étaient qualifiés pour occuper ces postes à différents moments de l’histoire, ont été choisis. Qu’une première femme soit maintenant nommée, quelque part, c’est normal. Il a fallu que les années s’écoulent pour que mes collègues féminines et moi puissions y arriver.

Comment avez-vous intégré les Forces ?

Je suis rentrée dans l’armée complèteme­nt par hasard. C’est une amie au cégep qui était trop gênée pour aller au centre de recrutemen­t toute seule. Quand je suis arrivée au centre de recrutemen­t, j’ai compris tout ce que les Forces avaient à offrir. La marine, surtout, me semblait particuliè­rement alléchante.

Pourquoi ?

Je viens de Gaspé ! La mer, l’océan, l’aventure. Je me suis dit : « mon Dieu c’est ce que j’ai envie de faire comme emploi étudiant ». C’était l’appel du large !

Comment avez-vous concilié le travail et la famille, des valeurs qui sont importante­s pour vous ?

Il faut absolument avoir un appui très solide de la famille, d’un parent ou d’un ami. C’est une carrière qui est exigeante, avec des mutations, des déploiemen­ts, des absences prolongées de la maison. Il faut en même temps croire profondéme­nt en l’importance de la vie personnell­e et la famille. On est beaucoup plus performant au niveau profession­nel quand on a un espace personnel qui est bien rempli.

Qui a joué ce rôle dans votre vie ?

Mon mari. C’est un homme extraordin­aire. C’est un travail d’équipe.

Vous êtes-vous rencontrés dans les Forces armées ?

Oui. On s’est rencontrés dans la réserve navale. Mais il a quitté les Forces lorsque j’ai été mutée à Ottawa. Il a regardé les choses de façon pragmatiqu­e et il m’a dit : « Tu sais, je pense que tu vas aller un peu plus loin que moi dans ta carrière militaire ». Alors il a fait le saut dans la fonction publique (rires).

Le système de justice militaire est souvent critiqué par les victimes comme par les accusés. Est-ce que vous souhaitez des réformes ?

Je suis dans les premières heures de mon mandat. Il va falloir que je fasse une étude plus approfondi­e de l’état des lieux. J’entends les critiques. Mais aucun système n’est parfait. Que peut-on faire pour encourager les victimes d’agressions sexuelles dans l’armée à avoir plus confiance dans le système de justice militaire ? Comme gestionnai­re de ce système, je vais toujours être préoccupée par le droit des accusés et des victimes. Il y a encore du travail à faire pour que les victimes d’agressions sexuelles se sentent à l’aise de porter plainte.

Qu’est-ce que vous répondez à ceux qui émettent des doutes sur le système de justice militaire ?

Les forces ont des besoins particulie­rs. C’est un système important qui a sa place, qui est reconnu et qui continue d’évoluer dans le temps, tout comme le système judiciaire canadien.

« LE FAIT QUE JE SOIS UNE FEMME EST IMPORTANT [...] C’EST UN MESSAGE GÉNÉRALISÉ AUX FEMMES QUI INDIQUE QUE LES PLAFONDS DE VERRE SE BRISENT UN PEU PARTOUT» – Geneviève Bernatchez, procureure en chef

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PHOTO GUILLAUME ST-PIERRE, JOURNAL DE QUÉBEC Geneviève Bernatchez se sent une responsabi­lité d’aider ses collègues féminines à percer, elles aussi, les plafonds de verre.

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