« C’est déjà mieux qu’elle aille à la mosquée plutôt qu’au bar », croyait sa mère
La fille de Fatima avait commencé à changer, mais rien pour inquiéter ses parents
Quelques mois avant de se faire arrêter par la police, la fille de Fatima avait commencé à porter le voile, à s’habiller en noir et à traiter les siens de mécréants.
« La tenue vestimentaire change du tout au tout. C’est du noir. Puis, plus de sourire sur le visage de votre enfant, plus cette joie de vivre dans les yeux. C’est un zombie qui se lève le matin, juste pour se lever », raconte avec tristesse la mère d’une quarantaine d’années.
Nous avons donné le nom fictif de Zaïra à sa fille, car l’enquête policière est toujours en cours.
Fatima avait remarqué que sa fille avait changé, mais jamais elle n’aurait pu imaginer qu’elle pourrait un jour abandonner la famille.
« Vous avez une enfant qui est heureuse, qui est épanouie, qui a toujours eu le droit de parole et n’a jamais été opprimée. Puis un jour, elle dit qu’elle veut porter le voile alors qu’elle ne l’a jamais porté », raconte la mère, qui est elle-même voilée.
« Vous voyez qu’elle change… Mais vous vous dites que c’est déjà mieux qu’elle aille à la mosquée plutôt qu’au bar », poursuit-elle avec un demi-sourire qui s’assombrit aussitôt.
Zaïra avait toujours été respectueuse et en bons termes avec ses parents. Une bonne élève, brillante, née au Québec et issue d’une famille immigrante ouverte et bien intégrée à la société québécoise. Les filles de Fatima sont sportives, elles portent des shorts, dansent le ballet et ne sont pas voilées…
Mais Zaïra s’est tranquillement transformée sur une période d’environ un an.
« Soudainement, on est devenu l’ennemi : “Vous n’êtes que des mécréants… vous n’êtes que ci, que ça…” Vous savez, tous les mots y passent, poursuit-elle, en retenant ses sanglots. On essayait de renouer, mais la cassure était profonde. Elle ne voulait plus avoir affaire à nous. Nous n’étions plus là… Ça nous a démolis. »
Jusqu’à l’arrestation de Zaïra, la mère était convaincue que sa fille sortait de la maison le matin pour se rendre au cégep. Mais en vérité, elle n’y allait plus depuis un moment déjà.
PERTE D’EMPLOI
Responsable d’une garderie à la maison depuis 2001, la mère a graduellement perdu ses clients au fil des semaines après le passage de la GRC chez elle.
« Des Québécois de souche m’ont fait l’honneur de me laisser leurs enfants
pendant des années. Et j’ai eu des témoignages de reconnaissance comme pas possible… mais, après ce qui s’est passé, ça a changé. J’ai fait un burn-out et j’ai arrêté de travailler », dit-elle, la mine basse.
Elle se rappelle avec beaucoup d’émotion le matin où les policiers ont cogné à sa porte, au point où l’angoisse l’étouffe lorsqu’elle raconte l’histoire, même deux ans après.
« J’ai ouvert la porte et le perron était noir, mais noir de monde. Un monsieur m’a poussée, m’a montré un papier et m’a demandé où était mon mari. J’ai monté les escaliers à quatre pattes pour réveiller mes filles, dit-elle, en essuyant ses larmes. La concernée était là, prostrée et me prenait la main. Elle me disait : “C’est quoi, ça ? C’est quoi, ça ?” »
Les policiers ont fouillé les sacs d’école des filles et pris leurs téléphones. Les deux soeurs de Zaïra sont longtemps restées en colère contre elle après les événements. « Elles lui ont dit : “On ne te pardonnera jamais ce que tu nous as fait” », se souvient Fatima.
SOLIDARITÉ DE MÈRES
Même si la situation est moins tendue qu’à l’époque, cette journée a eu un impact durable sur la cohésion familiale, qui reste encore fragile à ce jour, selon la mère.
Fatima a voulu rencontrer les parents des autres jeunes avec qui son enfant planifiait de fuir. Elle voulait comprendre et, surtout, partager ce qu’elle avait vécu.
« J’ai réalisé que nos filles étaient faites sur le même moule. Des jeunes filles intelligentes et jolies qui avaient une joie de vivre. Nous avons toutes vu nos enfants changer, mais on ne connaissait pas les raisons, on ne savait pas c’était quoi… nous-mêmes, on était perdues », dit-elle.
Avec le recul et les discussions qu’elle a eues avec Zaïra depuis deux ans, la mère affirme que sa fille est tombée dans le piège de la radicalisation par réaction à ce qui se passait au Québec, notamment avec le débat sur la Charte des valeurs québécoises, cible-t-elle.
« C’était pour contrer ce qui arrivait dans la société. Comme si elle avait voulu dire : vous ne voulez pas des musulmans ? Et bien moi je le suis et je vais le montrer », illustre-t-elle.
APRÈS LA RADICALISATION
Elle prend pour exemple un épisode que sa fille a vécu alors qu’elle étudiait au cégep. La professeure a demandé aux jeunes de se séparer en deux groupes, ceux nés au Québec et ceux nés à l’étranger.
« Ma fille s’est mise du côté des personnes nées au Québec et le prof lui a dit : qu’est-ce que tu fais là? Elle était tellement frustrée. Ça lui a fait mal », dit-elle.
Mais ce sentiment de rejet s’est transformé d’une manière positive depuis le temps, assure la mère. Zaïra a commencé à fréquenter le Centre de prévention de la radicalisation quelques mois après son épisode plus sombre.
Son expérience, comme celle des autres jeunes arrêtés en même temps qu’elle, a permis de créer un guide contenant des outils de prévention de la radicalisation.
Aujourd’hui, au lieu d’être en Syrie, Zaïra travaille et fait des études universitaires, ici au Québec. Comme le font les jeunes de 20 ans.
Bien que Fatima soit encore craintive dès que sa fille met les pieds dehors, elle reprend le dessus tranquillement. Tout comme le reste de la famille.
« Maintenant, j’ai retrouvé ma fille. Elle se lève le matin, elle me parle… elle est heureuse. Ça, c’est mon enfant », dit-elle, doucement.
« SOUDAINEMENT, ON EST DEVENU L’ENNEMI : VOUS N’ÊTES QUE DES MÉCRÉANTS… VOUS N’ÊTES QUE CI, QUE ÇA… VOUS SAVEZ, TOUS LES MOTS Y PASSENT. » – Fatima