Le Journal de Montreal

C’EST À CAUSE DE LA CHARTE DES VALEURS, DIT UNE MÈRE

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Amina est convaincue que son aîné est tombé dans le piège de la radicalisa­tion à cause du débat sur la Charte des valeurs québécoise­s.

« Il y a les conditions ici qui étaient favorables », dit d’emblée la mère d’une quarantain­e d’années et d’origine arabe.

« On est juste venu prendre mon enfant et lui dire : “Tu n’es pas accepté, tu n’as pas de place ici, tes parents ont souffert. Regarde, les accommodem­ents raisonnabl­es, la Charte des valeurs, ce sont des projets politiques qui te visent… qu’est-ce que tu fous là-dedans ?” » ajoute-t-elle avec conviction.

Son aîné avait 19 ans et étudiait au cégep quand il a été arrêté par la GRC. Amina préfère taire son nom et son sexe en raison de l’enquête en cours.

« Il n’y a aucune preuve de la zone où ils voulaient aller et il n’y a d’ailleurs aucune accusation après deux ans », tient-elle à rappeler au tout début de la rencontre avec Le Journal.

Selon le directeur du CPRMV, Herman Deparice-Okomba, leur billet d’avion avait comme destinatio­n finale l’Italie, avec une escale à Istanbul, en Turquie.

« Dans ma tête, il allait en visite en Europe avec des amis, pour changer d’air. Et en arrivant dans l’avion, ils ont eu la surprise de voir des agents qui les attendaien­t déjà », raconte Amina, calmement.

Son jeune a passé la soirée en interrogat­oire et est rentré à la maison au matin.

« Toute la journée, c’était le silence total. Vraiment rien. Il nous a juste dit : “On n’a pas pu partir.” Il était comme en choc, avec un regard égaré. Et on n’osait pas trop poser de questions », poursuit la mère.

Selon elle, pratiqueme­nt rien n’avait changé chez son enfant dans les mois précédant son arrestatio­n. Il réussissai­t à l’école, faisait des sorties avec des amis et menait une vie d’ado « assez normale ».

PETIT CHANGEMENT

La seule chose qu’elle ait remarquée est un petit changement dans l’apparence, une certaine « humilité vestimenta­ire ».

« Il y avait plus de simplicité dans son habillemen­t et dans sa façon d’être. Il était moins préoccupé par la mode », dit-elle.

Puis, l’arrestatio­n de son enfant a causé un véritable « tsunami » dans la famille.

« On ne s’attendait pas du tout à cela. Ça a tout pris sur son passage. Il a fallu redémarrer d’un vide. Il y a eu une cassure dans la famille et j’ai souvent affaire à des crises entre l’enfant concerné et ses frères et soeurs qui se sont sentis trahis. »

Son enfant le dit clairement, le projet de Charte des valeurs du Parti québécois en 2013 a joué un rôle important dans ce qui s’est passé, bien qu’Amina considère qu’il s’agissait d’un débat légitime. La Charte proposait entre autres l’interdicti­on du port de symboles religieux, tels que le voile islamique, par les employés de l’État.

« On croit que l’influence vient d’ailleurs, que quelqu’un est là, quelque part, cloîtré dans un lieu de prière ou une mosquée, mais non… lorsqu’on leur dit cela, les jeunes rigolent et disent : mais vous cherchez qui, quoi exactement ? Pour eux, ce n’est même pas la peine de chercher dans ce sens. Ils vont plutôt dire que ce sont les débats de société, les politicien­s ou tel journalist­e qui a écrit telle chose à propos des musulmans », explique Amina.

Avec le débat sur la Charte, les regards sur la communauté musulmane ont changé du jour au lendemain, dit la mère.

« JE SUIS QUÉBÉCOIS »

« Un jeune qui est né ici et qui se dit : “Pourquoi je devrais subir les explosions qui se passent à l’étranger au nom de l’islam ? Moi je suis Québécois… je n’ai rien à voir avec cela.” Et en même temps, il recherche une appartenan­ce ici qu’on ne lui offre pas, qu’on veut lui interdire en lui rappelant d’où il vient », ajoute-t-elle, avec assurance.

La mère tient toutefois à remercier les policiers pour leur travail. « Cela reste une suppositio­n, mais s’ils avaient vraiment l’intention de partir là-bas, tous les parents diront merci… il y a une certaine reconnaiss­ance même. »

Lorsque la poussière est retombée, Amina dit avoir pris le temps de « nommer les choses » et de discuter avec son enfant, comme l’ont fait plusieurs autres parents dans la même situation qu’elle.

« Une fois là-bas, auriez-vous vraiment le courage de continuer ? Êtes-vous vraiment armés psychologi­quement et physiqueme­nt pour faire face à toutes ces difficulté­s ? » a-t-elle demandé à son jeune.

Sans compter que les histoires de violences en Syrie devraient suffire à décourager n’importe qui de voyager dans ces zones, croit-elle, et ce, même si leur projet réel est d’aller aider les gens sur place, dans les hôpitaux ou les écoles.

Les jeunes qui ont été arrêtés en 2015 ont tous « beaucoup de potentiel », un « don de soi » et une « volonté de participer à des projets collectifs », assure Amina.

« Et on peut aller chercher chez eux ces qualités de manière positive… mais aussi négative », dit-elle, en comparant la radicalisa­tion à de la délinquanc­e « intellectu­elle ». Le Centre de prévention de la radicalisa­tion, que côtoie son enfant depuis un peu plus d’un an, est venu tirer le meilleur de lui, croit la mère.

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PHOTO CHANTAL POIRIER Amina n’arrive toujours pas à croire que son enfant avait l’intention de quitter le pays pour aller faire le djihad en Syrie.

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