Le Journal de Montreal

Elle croyait que son fils était à New York

« C’était comme si on avait tué quelqu’un », se souvient-elle quand la GRC a débarqué

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Linda se souviendra toujours du matin où les policiers sont entrés chez elle avec fracas pour fouiller la maison.

« Toc ! toc ! toc ! Police ! Et ils ont défoncé la porte à 7 h du matin. C’était comme un film américain, raconte la mère d’une quarantain­e d’années. Mon mari était déjà parti, ils sont entrés dans ma chambre… et j’ai crié, car je porte le voile et là, je ne l’avais pas. »

La GRC venait pour perquisiti­onner la maison de Linda, dont le fils de 16 ans né au Québec était soupçonné d’avoir voulu quitter le pays pour rejoindre une zone de conflit au Moyen-Orient.

Il avait été arrêté quelques jours plus tôt alors qu’il s’apprêtait à prendre l’avion à l’aéroport Pierre-Elliott-Trudeau. Ses parents étaient convaincus qu’il prenait l’autobus pour passer quelques jours à New York.

« Les policiers sont ensuite entrés dans les chambres des enfants. Ils sont devenus bleus de peur, se souvient la mère de trois garçons. Ils les ont amenés au salon, ont allumé les lumières... C’était comme si on avait tué quelqu’un », raconte la dame qui est arrivée au Québec en 1997.

Elle prend un temps, la gorge nouée, avant de poursuivre. Ses mains s’agitent dans tous les sens. C’est la première fois qu’elle raconte publiqueme­nt cette histoire.

« Ils ont passé la journée chez moi. Ils étaient à l’aise. L’un d’eux m’a même demandé ma recette de poulet aux olives… Je ne sais pas comment j’ai eu le courage de la lui donner, lance-t-elle. Ils ont fouillé toute la maison. Ils ont pris les ordinateur­s, les tablettes… et moi, je ne comprenais pas de quoi il s’agissait. Quand ils sont partis, j’ai éclaté en pleurs. »

Deux ans plus tard, les séquelles de cette journée dramatique sont encore bien présentes dans sa famille, dit-elle. Son mari, qui travaillai­t pour le gouverneme­nt fédéral à l’époque, a fini par perdre son boulot. Il est toujours en recherche d’emploi.

« On l’a renvoyé pour des questions de sécurité », dit la mère, qui est certaine que la décision a été prise en raison des soupçons qui pèsent encore sur son fils.

Son arrestatio­n a aussi causé des tensions dans la famille, notamment chez les parents, qui se renvoyaien­t la balle et s’accusaient mutuelleme­nt d’être responsabl­es du comporteme­nt de leur enfant.

« TOUT ÉTAIT NORMAL »

Pour sa part, elle dit n’avoir rien vu venir avant le drame.

« Tout était normal, à la maison, avec nous, avec ses frères. Il faisait ses prières comme d’habitude, lisait le Coran, allait à la mosquée. Oui, il portait la barbe… mais pas de la façon dont vous pensez. Il avait de bons copains, des futurs médecins… des bons gars, quoi », raconte-t-elle.

« J’avais moi-même acheté ses billets d’autobus, réservé son hôtel à New York et signé les papiers pour assermente­r son départ, comme il est mineur. Tout était en règle, en bonne et due forme. Mon petit garçon était à New York, avec des amis, pour se changer les idées », dit-elle, encore ahurie.

Puis le jour J, il a dit au revoir à sa mère. « Il était bien habillé, comme d’habitude, il m’a embrassée et puis il est parti… mais dès son départ, et là je parle en tant que maman, j’avais des couteaux dans mon ventre qui allaient et revenaient, comme des contractio­ns. C’était très dur… sans savoir rien du tout. Pour moi, il était parti à New York. »

Quelques heures plus tard, un coup de téléphone. « La GRC m’a dit : “On a arrêté ton fils.” C’était le chaos. J’étais abattue. »

Elle dit que son garçon a été « endoctriné, envoûté dans une bulle virtuelle, et manipulé comme un mouton » avant d’enchaîner avec des mots durs sur l’État islamique et la situation en Syrie.

« L’islam, ce n’est pas ça. En tant que musulmans, on n’a même pas le droit de tuer une petite fourmi. Pour moi, c’est de la barbarie. Ce n’est pas des musulmans pour moi, raget-elle. Mon fils n’allait pas faire quelque chose de mal, il ne tuerait même pas une mouche… il était jeune, tout naïf, gentil… »

« REPÊCHER NOS ENFANTS »

« J’AVAIS DES COUTEAUX DANS MON VENTRE QUI ALLAIENT ET REVENAIENT. [...] POUR MOI, IL ÉTAIT PARTI À NEW YORK » – Linda

Le fils de Linda a décidé d’aller au Centre de prévention de la radicalisa­tion menant à la violence (CPRMV) quelque temps après les événements.

« Quand il m’a dit qu’il voulait aller au Centre, au début, je ne voulais rien savoir, explique Linda. Je suis devenue allergique à cela, la violence. Je n’ai pas traversé un océan et un continent pour venir niaiser ici. Moi, je suis au Québec pour mes enfants, sinon je serais bien restée dans mon pays », dit-elle.

« J’avais peur des personnes qu’il pourrait rencontrer au centre. Mais c’est devenu sa deuxième famille. Il a eu des projets, tout le soutien dont il avait besoin pour se sortir de sa mauvaise passe. Ils ont repêché nos enfants », ajoute Linda.

Elle raconte avoir fait énormément de concession­s pour venir vivre au Québec. Fille unique, elle a laissé ses parents derrière. Elle n’accepterai­t jamais qu’on touche à ses enfants.

La mère dit avoir repris une bonne relation avec son garçon depuis l’arrestatio­n, mais elle reconnaît que tout n’est pas fini.

« Il n’a toujours pas de passeport, et l’enquête n’est pas terminée. C’est dur pour lui. Ça doit finir un jour, mais on n’a pas de nouvelles de la police », dit-elle.

Le garçon, qui a maintenant 18 ans, poursuit ses études et espère en finir pour de bon avec toute cette histoire qui mine sa vie depuis deux ans.

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PHOTO CHANTAL POIRIER Linda considère que le Centre de prévention de la radicalisa­tion est devenu comme une deuxième famille pour son fils.

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