Le Journal de Montreal

L’imposture du 150e

- C antoine.robitaille @quebecorme­dia.com

Ainsi, les Autochtone­s n’ont pas le coeur à la fête en ce 1er juillet. Justin Trudeau dit les comprendre. Bien des Québécois n’ont pas envie de fêter non plus. Mais eux, on leur dira de se taire et d’agiter leur unifolié. Pourtant.

D’abord, il y a le chiffre : « 150 ans. » Le Canada est bien plus vieux que ça. Jacques Cartier en 1534, ça vous dit quelque chose ? Autrefois, on qualifiait abusivemen­t cette date de « Découverte du Canada ». Comme s’il n’y avait eu rien avant ; comme si ces territoire­s étaient vierges.

C’était insultant pour les Autochtone­s. On le comprend. N’empêche, Jacques Cartier a inauguré quelque chose : l’arrivée sur cette terre d’Européens qui allaient devenir Français du Canada, puis Canadiens.

ORIGINES

Certains veulent aller à l’autre extrême. Une nouvelle rectitude politique parlera du Canada « depuis ses origines autochtone­s », selon ce qu’on peut lire sur le site internet officiel du 150e du Canada.

C’est évacuer facilement bien des vols, des batailles, des tentatives d’assimilati­on, etc. On comprend donc très bien que certains Autochtone­s manifesten­t contre le rappel de 1867.

Des Québécois aussi n’ont pas envie de fêter. À un moindre degré que les Autochtone­s, les francophon­es de ce pays ont été opprimés. Comme l’écrit le philosophe canadien-anglais Will Kymlicka (cité par Jean-Marc Fournier dans son fameux document), « L’incorporat­ion des Canadiens français et des Autochtone­s dans la communauté politique canadienne fut non volontaire ».

Certes, René Lévesque l’a bien dit : le Canada n’est pas un goulag (ce qu’il fut à certains égards pour certains Autochtone­s).

Ce que le gouverneme­nt fédéral voudrait toutefois qu’on célèbre — l’acte de 1867 — a bien des défauts, lesquels sont toujours présents, d’autant qu’ils ont été amplifiés par Trudeau père avec son coup de force de 1982, le rapatrieme­nt.

FAUSSE CONFÉDÉRAT­ION

Philippe Couillard, en 2013, disait vouloir profiter du 150e pour obtenir réparation. Depuis, il a totalement changé de discours. Il a au fond capitulé en maquillant le tout dans un document Québécois, notre façon d’être Canadiens, qui n’est pas sans vertu historique, mais qui prône en définitive un dialogue sans conséquenc­e. Remontons 150 ans en arrière : le chef du Parti libéral, Antoine-Aimé Dorion, était… faroucheme­nt opposé à la « Confédérat­ion ». « La Confédérat­ion que je demandais était une vraie confédérat­ion, qui donnait les plus grands pouvoirs aux gouverneme­nts provinciau­x et seulement une autorité déléguée au gouverneme­nt général », déclarait-il en 1865. Il prévoyait des « collisions fréquentes » entre les paliers de gouverneme­nt « qui ne [feraient] que créer du malaise et des embarras de toutes sortes ». Dorion reprochait aux pères de la Confédérat­ion de travailler en secret et de se défier du peuple. En 1864, il écrit, à raison, que, lorsqu’il s’agit de « refaire la constituti­on, de poser de nouvelles bases à l’édifice politique, le peuple dont l’intérêt et la prospérité son affectés par ces changement­s doit être consulté ». Ce ne sera pas le cas en 1867. Mais pas plus en 1982 ! Or, en 1980, les Québécois avaient pu s’exprimer sur leur statut politique pour la première fois. Trudeau père leur promit qu’un « non » signifiera­it un « oui » à un renouvelle­ment de l’Acte de 1867. Ils appuyèrent cette option à 59,56 %. On connaît la suite. La fête, pour plusieurs, peut bien avoir un goût amer.

 ??  ?? Chef du Parti libéral en 1867, Antoine-Aimé Dorion s’opposait à la « Confédérat­ion ».
Chef du Parti libéral en 1867, Antoine-Aimé Dorion s’opposait à la « Confédérat­ion ».

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