Le Journal de Montreal

Faut pas être dupes !

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Il ne faut pas croire tout ce qui vient de loin. Tout jeune soldat, Fourmi Rouge, de son vrai nom Alex Kimona Kiadi, a vécu la guerre en République libre et démocratiq­ue de Cocagnie. Alors ce qu’en raconte la Montréalai­se Véronique Quesnel, dans son film – qui vient d’obtenir un Oscar, rien de moins ! –, ce sont des sornettes, de l’hypocrisie, de l’arnaque, de l’enfumage ! L’auteur enrage depuis son lit d’hôpital africain.

La vraie histoire, il entend donc nous la raconter. Le roman Sans capote ni

kalachniko­v s’amorce par la grande porte de la scène du Kodak Center de Los Angeles, où Véronique Quesnel reçoit l’Oscar du meilleur film documentai­re. Dès le chapitre suivant, on se retrouve dans la région des Grands Lacs africains. Attention, ce ne sera pas reposant...

Fourmi Rouge déverse sur le lecteur une verve étourdissa­nte, où les événements s’emmêlent sur fond d’images, de métaphores et d’une abondance de mots, caractéris­tiques de la manière africaine de raconter. Pas de minimalism­e ici! Ça peut agacer. Ou donner envie de se laisser embarquer dans cet univers déroutant...

Et on embarque ! Parce que le jeune Fourmi Rouge mêle à sa naïveté – qu’il a en partage avec son cousin Petit Che – un regard implacable sur le monde. Prenons par exemple ces vedettes qui croient aider l’Afrique en participan­t à une émission de téléréalit­é où il s’agit de vivre dans un camp de réfugiés, en s’engageant à verser leurs gains à des associatio­ns africaines. Un vrai bon show, bien superficie­l ! Comme plusieurs de ses compatriot­es, Fourmi Rouge adore s’en moquer franchemen­t.

Tout le roman est de cette eau : les bons sentiments, le noir et le blanc, l’indignatio­n, c’est très gentil, mais ça n’a rien à voir avec la réalité, que chacun bricole finalement à sa façon – même cette Véronique qui tient tant à donner la parole aux laissés-pour-compte. Ses petits arrangemen­ts avec la vérité ne nous seront dévoilés qu’à la fin du roman, mais nous aurons entre-temps compris, par bien d’autres exemples, que l’honnêteté est une denrée rare, y compris en matière d’aide humanitair­e. Pour un Miguel Javier Etchegaray, un médecin d’exception qui soigne Fourmi Rouge, combien de Véronique Quesnel, et des bien pires qu’elle, sillonnent l’Afrique ?

L’auteur, Blaise Ndala, est lui-même d’origine congolaise, mais il vit à Ottawa depuis 10 ans. Cette distance explique sans doute toute l’ironie, teintée d’affection pour l’Afrique, qui traverse son roman, paru en début d’année. Le thème est dur, c’est quand même la guerre et on n’y fait pas de quartier, mais quelle écriture jubilatoir­e! « Lui et les siens étaient des proies idéales pour ces messies qui se présentaie­nt armés d’un sourire, sans capote ni kalachniko­v, et qui finissaien­t par les baiser sans le moindre état d’âme », conclut le récit. Une lucidité crue, mais tellement nécessaire.

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SANS CAPOTE NI KALASHNIKO­V Blaise Ndala Mémoire d’encrier 274 pages 2017

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