Nos aînés attendent la mort seuls
Il y a urgence d’agir contre la solitude qui guette les aînés, alors que le tiers vit isolé et est délaissé au Québec
Ignorés et oubliés, des centaines d'aînés du Québec meurent complètement seuls… Si seuls qu’on ne les retrouve parfois qu’un mois plus tard. Une mort indigne, dénoncent des experts, qui sonnent l’alarme sur le problème grandissant de l’isolement des personnes âgées.
Le tiers des aînés du Québec vivent seuls, souvent incapables de sortir de leur appartement ou de leur chambre de CHSLD. « Ils ne voient personne et personne ne s’intéresse à leur sort », lance le coroner Raynald Gauthier, qui voit urgence d’agir.
Le Journal s’est entretenu avec quatre aînées qui vivent cette solitude au quotidien afin de jeter la lumière sur ce problème de santé publique.
Le coroner Gauthier vient d’ailleurs de publier un rapport dévastateur sur une femme de 65 ans de Trois-Rivières, qui ne recevait pas d’appel ou de visite, dont la mort n’a été constatée qu’un mois plus tard, quand une odeur pestilentielle s’échappait de son logement.
Ces tristes cas ne sont plus rares, selon M. Gauthier. D’ailleurs, le bureau du coroner dénombre actuellement une centaine de corps d’aînés non réclamés.
« C’est un peu indécent de laisser des gens mourir chez eux sans que personne s’en aperçoive. »
Cette mort dont personne ne se soucie, voilà le pire cauchemar de Suzanne Otis, qui vit seule dans son petit appartement d’un HLM de l’arrondissement de Mercier-Hochelaga-Maisonneuve, à Montréal.
« Je n’ai jamais de visite et je ne sors presque pas. Je voudrais juste que quelqu’un m’amène faire un tour chez eux ou au restaurant », souffle la sexagénaire, les yeux rivés au sol.
« MOURIR AVANT LE TEMPS »
« La société québécoise n’a aucune idée de l’ampleur du problème […] On ne réalise pas que c’est une vraie souffrance, on dit que l’ennui, ce n’est rien à côté du cancer, mais c’est comme mourir avant le temps », dénonce sans équivoque la directrice générale de l’organisme Les Petits Frères, dédié aux aînés.
Selon Caroline Sauriol, l’isolement est une véritable maladie. « C’est quelque chose qui nous arrive, ça nous tombe dessus au fil de deuils et de pertes », explique-t-elle, donnant l’exemple d’une hanche cassée qui force un aîné à déménager.
« Ce n’est pas parce qu’ils l’ont souhaité », insiste-t-elle, à propos de ce problème de santé publique qui guette surtout les femmes, puisqu’elles vivent plus vieilles.
« Le gouvernement ne peut pas remplacer les familles », déclare quant à lui le ministre de la Santé Gaétan Barrette, assurant du même coup que son gouvernement s’intéresse au problème.
« L’isolement, ça commence par l’isolement de sa propre famille », remarque l’ancien médecin. Les nombres de visites dans les CHSLD, dit-il, ne sont « pas très élevés ».
Il y a déjà une quantité « impressionnante » de bénévoles, remarque-t-il, et des douzaines de programmes financés par le gouvernement. Pour le coroner Gauthier, il faut les faire connaître et les financer, car le temps presse pour contrecarrer l’isolement des Québécois qui sont toujours plus nombreux à vivre de plus en plus vieux.
« JE N’AI JAMAIS DE VISITE ET JE NE SORS PRESQUE PAS. JE VOUDRAIS JUSTE QUE QUELQU’UN M’AMÈNE FAIRE UN TOUR CHEZ EUX OU AU RESTAURANT » – Suzanne Otis, 67 ans