Le Journal de Montreal

L’exil des animaux de ferme ( 1755 )

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En 1755 est prise une décision politique qui va transforme­r Montréal à tout jamais. C’est un événement qu’évoquent rarement les historiens, mais Mario Robert, l’archiviste en chef de la Ville de Montréal, s’en souvient. Jusqu’à maintenant, hommes et animaux cohabitaie­nt à Montréal. Des fermes jouxtaient les maisons et, bien souvent, le premier étage était une ferme, tandis qu’on vivait au deuxième. On accordait aux ânes, aux boeufs, aux poules et aux cochons des « accommodem­ents raisonnabl­es », et ceux-ci circulaien­t librement dans les rues. Ils vivaient « intra-muros », comme on aime dire à Paris, c’est-à-dire dans l’enceinte de la ville.

On en a cependant assez, et les choses vont changer avec l’ordonnance du 10 mai 1755, juste avant la Conquête. Jacques-Joseph Guiton de Monrepos, lieutenant général de la juridictio­n de Montréal, décide d’encadrer plus scrupuleus­ement la garde des bestiaux. Dans les enclos ou en dedans, les animaux ! Fini la voie publique comme lieu de pâturage et de broutage – et de défécation ! Quiconque possède des animaux de ferme doit maintenant les garder sur son propre terrain : il devient presque impossible, dans la pratique, d’élever des animaux en ville.

Était-ce l’odeur ? Le bruit ? L’insalubrit­é ? Il est inimaginab­le aujourd’hui d’élever des cochons dans sa cour arrière, mais c’était commun à l’époque. Pour les fermes dignes de ce nom, il faut sortir de la ville, qui est encore minuscule, il faut le dire. Le centre-ville d’aujourd’hui est alors la forêt !

REVANCHE DU DESTIN

La campagne qui s’étend autour de la ville fortifiée va constammen­t reculer. Montréal s’urbanise en expulsant ce qu’elle avait toujours contenu de campagne. Il y a un siècle, Maisonneuv­e et Saint-Léonard étaient encore des champs. Même à Verdun, dans ma jeunesse, dans les années 1950, rue Gordon, le poste CKVL avait pour voisin d’en face une fermette avec des cochons et des poules ! On va ériger des lots de bungalows sur d’anciens champs de blé d’Inde. Cette distinctio­n entre la ville et la ferme n’existe pas, du moins pas officielle­ment, avant 1755.

Revanche du destin, l’agricultur­e se refait aujourd’hui une place en ville, avec les apiculteur­s urbains, les jardins maraîchers sur les toits, et il y en a même, notamment à Rosemont, pour élever des poules. Pourquoi pas ? Excluons toutefois les coqs, dont le chant matinal nous rendrait fous… Nous aimons l’air frais et la verdure, et les bêtes en font partie. Je ne dis pas qu’une porcherie aurait sa place dans le Mile-End, mais… pourquoi ne pas réintrodui­re un peu de campagne dans nos îlots bétonnés ? À Griffintow­n, le combat fait rage depuis longtemps pour préserver les écuries du Horse Palace (dont on refuse de franciser le nom). Les promoteurs d’immeubles à condos sont bien sûr gênés de sa présence… Des nez fins font la grimace en raison du crottin… Mais, franchemen­t, ce qui rend la ville invivable de nos jours, c’est le smog, la pollution ! Et tant mieux s’il reste un tantinet de nature dans nos murs. Si nous devons avoir honte de quelque chose aujourd’hui, c’est plutôt de notre tolérance aux mauvais traitement­s faits aux animaux domestique­s.

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PHOTOS COURTOISIE DES ARCHIVES MUNICIPALE­S DE MONTRÉAL 1. Cette ordonnance explique les nouveaux règlements touchant les animaux de ferme en ville. Le but : inciter fortement les éleveurs à s’installer plus en périphérie. Et constammen­t, la ville s’urbanisera en repoussant la campagne de plus en plus loin....
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