Le Journal de Montreal

Les morts ne votent pas

- JOSÉE LEGAULT Blogueuse au Journal josee.legault @quebecorme­dia.com @joseelegau­lt

Sur le plan démocratiq­ue, laisser 19 personnes sur les 6174 habitants de Saint-Apollinair­e décider du rejet d’un projet de cimetière musulman est une aberration. Sur le plan des droits fondamenta­ux, c’est abject. Quel gâchis.

Porté en solo par le Centre culturel islamique de Québec (CCIQ), lui-même victime de l’attentat meurtrier du 29 janvier, le projet risque de prendre le chemin des tribunaux. Un recours légitime, mais dont seuls les avocats sortiraien­t gagnants.

À Saint-Apollinair­e, le rôle troublant joué dans le minuscule camp du « non » par La Meute, un groupuscul­e d’extrême droite, renforce d’autant la thèse d’un recours. Pour le maire et ses citoyens, le cauchemar s’annonce long.

Pendant ce temps, comme je l’écrivais hier, le vrai débat est escamoté. Pour permettre enfin aux Québécois musulmans des régions d’enterrer leurs morts ici, doit-on favoriser la création de sections réservées au sein de cimetières existants ou de cimetières entièremen­t séparés?

PAS D’ILLUSIONS

Or, inutile de se faire des illusions. Ce débat n’aura pas lieu. Son instrument­alisation par La Meute l’a tué dans l’oeuf. Sans compter l’existence déjà établie au Québec des deux formules pour toutes les confession­s - cimetières séparés ou sections réservées dans des cimetières existants.

Des pistes de solutions existent pourtant. Un leadership éclairé devra tout d’abord s’exercer là où il aurait dû l’être dès le début. Soit par la classe politique et le CCIQ lui-même.

Depuis des années, le premier chaînon manquant se trouve à l’Assemblée nationale et à l’hôtel de ville de Québec. Même si les morts ne votent pas, un tel silence ne peut plus durer. Dans la région montréalai­se, les musulmans peuvent enterrer leurs morts selon leurs rites. En régions, hormis pour l’annonce de 500 lots réservés à Saint-Augustin-de-Desmaures, c’est impossible.

Le second chaînon manquant est au CCIQ. Sa volonté de porter seul le projet d’un cimetière musulman est une erreur. Les Québécois de foi musulmane ne forment pas une communauté homogène, loin s’en faut. D’où l’erreur du CCIQ de s’entêter à faire cavalier seul.

LEADERSHIP ET OUVERTURE

Je faisais mention hier de l’Associatio­n de la sépulture musulmane au Québec (ASMQ) dont la présidente, Hadjira Belkacem, fait déjà un travail admirable. L’ASMQ aurait toutefois été exclue du projet du CCIQ.

Selon Le Soleil, l’Associatio­n des musulmanes et musulmans du Grand Lévis déplore aussi de ne pas avoir été consultée par le Centre culturel islamique de Québec. Pour sa porte-parole Marie-Josée Coulombe, convertie à l’islam, le CCIQ devrait travailler pour « les musulmans de tout l’Est-du-Québec, pratiquant­s ou non ».

Appelant à un projet de cimetière plus inclusif, Mme Coulombe souhaite également une implicatio­n plus large des population­s concernées, y compris par « davantage de femmes ».

Or, pour qu’un tel projet se concrétise, la classe politique et le CCIQ devront faire montre d’un leadership et d’une ouverture dorénavant beaucoup plus marqués. Seront-ils au rendez-vous? Vaste question.

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Politologu­e, auteure, chroniqueu­se politique

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