Le Journal de Montreal

Une première course enlevante Des commerçant­s toujours fâchés

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Laura. Il lui dit qu’il l’aime, qu’il est désolé, qu’il va rendre sa vie meilleure. Dès qu’il est libéré sous caution, son Don Juan passe la prendre en compagnie d’une jeune femme. C’est le début du calvaire de Laura.

On lui explique qu’elle devra devenir danseuse pour « l’entreprise » de Francillon.

SOIS JOLIE...

« Tout ce que tu as à faire, c’est d’être jolie, puis de te déhancher. Puis, tu vas avoir 500 $ par jour », lui explique l’autre jeune femme. Mise en confiance par cette dernière, Laura se dit qu’elle « va l’essayer », pour ravoir son argent.

La jeune femme a dansé de la sorte, à 10-15 $ la chanson, pendant trois ans, à raison de cinq ou six soirs par semaine. D’abord dans un bar près de l’aéroport, ensuite dans deux clubs un peu plus prestigieu­x de Montréal.

Chaque nuit, lorsqu’elle revient au studio sans meubles ni réfrigérat­eur qu’elle partage avec Francillon, elle lui remet tous ses gains. C’est lui qui s’occupe des finances de « l’entreprise », lui dit-il.

Laura pensait que son homme plaçait l’argent quelque part, en vue d’acheter leur grande maison. En réalité, tous ses revenus étaient consumés, devant ses yeux, dans la pipe à crack de Francillon.

Il ne lui laisse rien. Laura ne s’achète jamais de vêtements ni de maquillage. Elle doit parfois voler pour manger ou se procurer des tampons. Si elle est gentille, et qu’elle a gagné assez d’argent, Francillon lui permet d’aller au McDo à l’occasion.

Lorsqu’elle demande un peu d’argent, il lui répond : Pa gen, ce qui signifie « Je n’en ai pas » en créole. Et si elle ose poser une question, Francillon devient vite agressif.

Une fois, il a trouvé de l’argent dissimulé dans la doublure du sac à main de la jeune femme. Il a piqué une colère monstre.

Laura ne peut jamais sortir sans lui, sauf pour aller « travailler ». Lorsqu’elle ne travaille pas, c’est lui qui l’utilise comme objet sexuel.

COMME UNE POUBELLE

Tous les liens avec sa famille sont coupés, la confiance est brisée. Ses cartes d’identité ont toutes « disparu » sans explicatio­n. C’est sans issue, pense-telle : « Je suis loin du scénario que je me suis fait en 2007. »

Laura commence donc à prendre de la drogue avec son pimp. Mauvaise idée, a-t-elle vite compris. Francillon s’est mis à la battre parce qu’elle ramenait moins d’argent à la maison.

« Pour lui, je suis comme un sac à poubelle », a-t-elle souligné.

Il lui disait que plus personne ne voulait d’elle, que personne ne s’en soucierait si elle mourait. Le pimp réclamait toujours de plus en plus d’argent. Il a donc « booké » Laura dans des bars à gaffe.

« Les clubs à gaffe, ce sont les clubs où [il y a] de la prostituti­on », a expliqué la jeune femme à la Cour. C’est 100 $ pour une fellation, 200 $ pour une relation complète.

Laura a passé quelques mois dans un bar des Laurentide­s, puis il y a eu une descente. Elle a été arrêtée pour s’être trouvée dans une maison de débauche.

Elle s’en tirera avec 150 $ d’amende… et un dossier criminel.

ATTACHÉE ET POIGNARDÉE

Francillon l’a ensuite envoyée dans un club de la Montérégie. Un soir, Laura n’est revenue qu’avec 60 $. Il y avait une tempête de neige et peu de clients s’étaient présentés au bar. Le pimp « a vu rouge ». Il a accusé Laura de cacher de l’argent et d’avoir des relations sexuelles gratuites.

Francillon l’a attachée sur une chaise avec du duct tape. Il lui en a aussi mis sur la bouche, avant de lui planter un couteau dans la jambe droite.

« Quand il a enlevé le couteau, il a vu que ça saignait beaucoup, il m’a dit d’aller nettoyer ça, [que c’était] dégueulass­e », a-telle décrit. Pas question d’aller à l’hôpital.

Le proxénète a ensuite envoyé Laura « faire des shifts » de 15 heures par jour en Beauce. Chaque soir, elle devait se rendre dans un Wal-Mart et envoyer ses gains à Francillon par Western Union.

Après deux semaines là-bas, Laura s’est mise à ressentir d’atroces douleurs au bas du ventre, au point où elle a dû être hospitalis­ée. Diagnostic : un kyste sur l’ovaire, en raison d’une trop grande activité sexuelle. Elle est restée trois jours sous antibiotiq­ues.

SORTIE DE FORCE DE L’HÔPITAL

Puis, Francillon s’est impatienté. Il n’avait plus d’argent, ayant tout dépensé en cognac, drogue et prostituée­s en l’absence de Laura.

Le pimp s’est rendu à l’hôpital et a ordonné à la jeune femme de signer un refus de traitement, ce qu’elle a fait. Et le manège des clubs à gaffe a continué.

À cette époque, Laura devait travailler sans relâche pour parvenir à payer les frais d’avocats de son « conjoint ». Francillon s’était de nouveau retrouvé derrière les barreaux, cette fois pour menaces de mort au propriétai­re du logement qu’il partageait avec la jeune femme.

Pour gagner plus d’argent, elle a dû devenir escorte sur appel. Elle attendait les clients, attirés par des annonces sur internet, dans une chambre de motel.

Quand Francillon a été libéré sous caution, il a exigé que Laura « fasse la rue ».

« Je suivais ses indication­s, il m’a dit : “T’embarques dans les chars, puis tu offres tes services” », a-t-elle expliqué.

Après chaque client, elle ramenait l’argent à son proxénète, qui se rendait directemen­t chez son « pusher ».

« TROU À RATS »

Mais la paye ne rentrait jamais assez vite au goût de Francillon. Laura a donc dû commencer à recevoir les clients directemen­t dans leur logement de Montréal, et ce, sept jours sur sept.

Puis le couple a déménagé à Laval, dans « un trou à rats ». C’est là que Laura a vraiment atteint le fond du baril. Francillon l’obligeait à aller faire le trottoir sur le boulevard des Laurentide­s. Elle travaillai­t à toute heure du jour ou de la nuit, selon les humeurs et les besoins de son

« S’il avait une rage [de drogue] à 4 h du matin, il fallait que je me lève, [que] je mette mes souliers, puis que j’aille dehors », a-t-elle illustré.

Laura se sentait presque mieux dehors, loin de lui, jusqu’au jour où les maux de ventre sont revenus. Elle agonisait de douleur, si bien qu’une voisine a appelé une ambulance. Après deux jours à l’hôpital, Francillon l’a à nouveau forcée à signer un refus de traitement.

Pendant un an, Laura a ruiné sa santé dans la rue. Elle consommait du crack parce que « c’était la seule façon de surmonter ça ». La jeune femme ne savait pas comment s’en sortir.

« J’ai été surprotégé­e par mes parents. Ça fait que quand je les ai perdus d’un coup, moi, je pensais que c’était ça la vie. Je pensais que c’était lui qui allait me montrer la vie, puis c’est ça qu’il m’a montré », a-t-elle mentionné.

CACHÉE QUATRE MOIS

pimp.

En septembre 2014, après sept ans de terreur, Laura a pris son courage à deux mains. Elle a quitté Francillon.

« J’ai juste disjoncté, a-t-elle relaté. […] Je me suis dit, c’est tellement dégueulass­e ce que je vis qu’au pire je vivrai dans un parc. »

Elle n’a pas porté plainte, craignant des représaill­es pour elle ou sa famille.

Laura a réussi à se cacher de son pimp pendant quatre mois. Mais Francillon a fini par la retrouver et il s’est présenté chez elle avec une arme à feu. Il a juré de revenir lui trancher la gorge. C’en était trop pour Laura. Cette fois, elle a appelé la police.

Elle a séjourné pendant un mois dans une maison pour femmes violentées, le temps que les enquêteurs mettent la main au collet de Francillon. C’était en avril 2015.

Un peu plus de deux ans plus tard, Laura a refait sa vie, malgré des cicatrices indélébile­s. La jeune femme, maintenant âgée de 28 ans, a repris contact avec sa famille.

PETITE PEINE DE PRISON

Elle a un travail, mais rien n’est simple. Son nom a été sali auprès de la Régie du logement, de la SAAQ, d’Hydro-Québec et de bien d’autres, car Francillon se servait d’elle pour tout payer. Elle a dû faire une croix sur une carrière en soins infirmiers.

En 2016, Laura a mis une journée à raconter son calvaire à la juge Dominique Larochelle, lors de l’enquête préliminai­re du pimp. Ce qu’elle a vécu s’apparente à de la torture, a souligné la magistrate.

Il y a quelques semaines, Laura a enfin pu mettre toute cette histoire derrière elle.

Frédérick Francillon a plaidé coupable, et il a été condamné à six ans et demi de pénitencie­r pour tout ce qu’il a fait subir à Laura. C’est donc dire qu’il passera moins de temps derrière les barreaux que Laura aura été sous son joug.

GARE AUX HABILES CHARMEURS

Les proxénètes sont d’habiles charmeurs avec plusieurs visages, capables d’enjôler à peu près n’importe qui, met en garde la police de Laval, qui souhaite sensibilis­er les jeunes filles au danger qui les guette.

« À 18 ans, quelle que soit la famille d’où l’on vient, on est à une étape de sa vie où on est vulnérable. On recherche l’affection des autres. On s’engage avec quelqu’un et on lui donne notre confiance, mais les proxénètes ont un autre but », insiste l’inspecteur Alain Meilleur.

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FRÉDÉRICK FRANCILLON Proxénète

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