Romans d’ici Toxic Paradise, un roman qui se démarque
Le roman québécois contemporain abonde d’histoires de jeunes blasés, sans envie ni ambition, qui se cherchent et se défoncent – portrait si sombre d’une génération qu’il finit par lasser. Mais Toxic Paradise arrive à renouveler le genre parce que son auteur, Yves Beauséjour, y instille de l’humour, un contexte (septembre 2001 !) et un regard décalé.
Christophe Frappier est le narrateur du roman. Il remplit ses jours grâce à un ennuyeux travail de commis dans un magasin de jouets et ses soirées avec du junkfood, de la télé, et une forte consommation de substances illicites, qu’il se procure chez le voisin. Il vit avec Maurianne, dite Maur, métisse au langage coloré, elle-même secrétaire médicale dans une clinique d’avortement.
Les décrire est tout simple : « Nous travaillons. Nous gagnons notre sel et surtout notre gras. Nous logeons dans un quatre-pièces bien meublé. Nous sommes rangés. Nous sommes vieux par nos habitudes et nos formes physiques. L’obésité est la peste qui effraie ma Maur. C’est pourquoi elle a conçu un programme de transformation radicale de notre mode de vie. »
Le roman s’ouvre d’ailleurs sur une journée rocambolesque, alors que Maur a entraîné Christophe sur le chemin de la bonne forme : un sentier d’hébertisme. On rigole ! Peutêtre Christophe a-t-il raison : « il est vain de tenter de vivre sainement ».
Mais Maur ne renonce pas : faut faire de l’exercice dans la vie, et mieux manger, et sombrer moins souvent dans la drogue et l’alcool.
Christophe, qui l’adore, fait « oui » au nom de l’harmonie, mais ne cesse, en cachette, d’ajouter des joints à sa consommation quotidienne, sans oublier les pilules à tester fournies par le voisin. On a beau sourire, car il est bien ratoureux, ce narrateur aux mensonges de plus en plus gros, ça va mal finir.
Il faut dire que pendant que Christophe jette un regard décapant sur la servitude du quotidien, celui-ci est sur le point d’être fortement ébranlé. Nous sommes à la fin août-début septembre 2001, et à mesure que le narrateur s’enfonce dans la consommation toxique et éthylique, à mesure que l’on découvre ses craintes de sombrer dans la folie, tare familiale, le 11 septembre approche.
Il y a un lien entre l’état de Christophe, pris au piège de ses démons, et les attentats du 11 septembre 2001, qui ébranleront une Amérique du Nord qui se croyait à l’abri du chaos du monde. La Grande Conspiration a frappé, et pour Christophe, tout cela prend un tour très personnel.
L’atout du récit réside dans les cheminements en deux temps qu’il propose. D’abord entre deux êtres englués dans une routine dont ils essaient de se sortir chacun à leur façon. Ensuite entre la désinvolture souriante de Christophe et la tragédie qui lui pend au bout du nez. Puis en raison du fin mariage entre un drame historique et un drame personnel.
L’atout, c’est enfin Christophe : blasé, perdu, sans envie ni ambition. Mais néanmoins attachant.