Le Journal de Montreal

LA PRISE QUI A CHANGÉ SA VIE

Le tir venait de fendre le marbre. Une prise on ne peut plus parfaite. Pourtant, Tim Raines – qui venait de faire un mouvement de recul – était certain qu’il avait failli être atteint par la balle. À tel point qu’il n’avait pas hésité à blâmer l’officiel.

- JACQUES DOUCET jacques.doucet@quebecorme­dia.com

Ce dernier avait eu une réplique cinglante. « Ouvre tes yeux, mon Tim. Ce tir était en plein coeur du marbre… »

Incrédule, Raines était allé regarder la reprise vidéo dans le vestiaire des Expos. Pour réaliser que l’arbitre avait raison.

Ç’a été l’élément déclencheu­r. C’est à ce moment-là que le voltigeur des Expos a réalisé que quelque chose n’allait pas.

Avec du recul, Raines pense même que cette présence au bâton a été un des tournants de sa carrière.

À l’aube de la vingtaine, Tim Raines avait bien failli tout gâcher en cette saison 1982 en raison de son penchant pour la cocaïne.

Issu d’une famille modeste, il se retrouvait dans un environnem­ent différent, avec beaucoup d’argent en poche. Et avec un nouveau cercle d’« amis »…

Le soigneur de l’équipe de 1980 à 2004, Ron McLain, se souvient très bien que l’attitude de Raines avait soudaineme­nt changé.

« Tim n’était plus ce joueur jovial que nous avions appris à connaître, dit-il. Son sourire n’était plus là au quotidien. Nous ne le connaissio­ns pas sous ce jour.

« Il arrivait de plus en plus tard au stade. Son grand copain Andre Dawson racontait que Tim refusait de plus en plus souvent ses invitation­s pour une sortie après un match, que ce soit pour aller prendre un verre ou un bon repas… »

McLain soupçonnai­t le joueur étoile de consommer de la drogue, mais il n’en avait aucune preuve.

« À l’occasion, Tim avait les yeux vitreux, se souvient-il. Nous avons commencé à avoir des doutes quand des employés du vestiaire ont raconté qu’il avait pris l’habitude de passer plusieurs minutes aux toilettes… et qu’ils l’entendaien­t renifler fort !

« Puis, un jour, Tim a téléphoné au stade pour demander qu’on vienne le chercher chez lui, car il ne se sentait pas bien. Le Dr Broderick et le directeur des voyages Peter Durso se sont donc rendus à son appartemen­t et c’est là qu’ils ont découvert le pot aux roses. »

McLain raconte que le président des Expos, John McHale, avait décidé de permettre à Raines de continuer à jouer sans prévenir les autorités du baseball majeur de ses problèmes de consommati­on. En contrepart­ie, Raines avait promis d’assister régulièrem­ent à des réunions des cocaïnoman­es anonymes, autant à Montréal qu’à l’étranger.

« Ça n’a pas fonctionné, se souvient McLain. Raines allait très irrégulièr­ement aux rencontres. Une fois la saison terminée, les Expos ont décidé de l’envoyer faire une cure de désintoxic­ation à la maison Betty Ford, à Rancho Mirage, en Californie.

« J’ai donc pris l’avion avec Tim et, à notre arrivée, quelle fut notre surprise d’être accueillis par Dock Ellis, l’ancien lanceur des Pirates, qui était un conseiller de l’agent de Raines dans le domaine de la toxicomani­e. Ellis a tenté de décourager Raines d’entrer à Betty Ford, insistant plutôt pour qu’il s’inscrive dans une autre maison du même genre en Arizona. Raines a résisté et il est resté en Californie durant un mois », de dire McLain.

McLain précise que les Expos ont tout payé pour que leur joueur se rétablisse et qu’ils ont aussi été mis à l’amende pour ne pas avoir suivi le protocole en omettant d’aviser les autorités du baseball majeur des déboires de leur joueur.

Pour autant que sache McLain, Raines venait de vaincre ses démons et il n’a jamais plus consommé de cocaïne.

Heureuseme­nt pour lui, et pour nous tous, Tim Raines s’est ressaisi et, aujourd’hui, il se retrouve parmi les grands du baseball à Cooperstow­n.

LA SUPERSTITI­ON DES ATHLÈTES

C’est bien connu, les athlètes, tous sports confondus, sont superstiti­eux. Qu’il s’agisse de vêtements, de nourriture, de routine… Rares sont ceux qui y échappent.

Et la plupart en conservent certains éléments une fois leur carrière active terminée.

Dans le cas des amis Andre Dawson et Tim Raines, c’était des coups de fil à des moments opportuns. Sauf qu’en janvier dernier, le coup de fil n’est jamais venu à la veille du dévoilemen­t du résultat du scrutin du Temple de la renommée.

Dawson craignait-il qu’en le faisant il ait pu nuire à son ami ?

« Probableme­nt », raconte Raines en éclatant de rire.

Le jour du dévoilemen­t, Tim avait réuni sa famille et son agent dans la salle familiale. Lorsque le téléphone a sonné et qu’on lui a annoncé la nouvelle, ce fut un éclat collectif de joie… et de soulagemen­t, car c’était la dernière année d’admissibil­ité de Raines.

Évidemment, l’appel comportait certaines contrainte­s. Il lui fallait garder la nouvelle secrète jusqu’à ce que la direction du Temple de la renommée la dévoile aux journalist­es et au grand public. Raines a-t-il respecté la consigne ? « Non », dit-il. « Il fallait que je l’annonce à mes parents pour qu’ils partagent ma joie et ma fierté. » Puis, Raines a fait un autre appel. « J’avais promis à Charles Bronfman, l’ancien propriétai­re des Expos, que je l’appellerai­s si jamais j’étais élu. J’ai toujours eu un énorme respect pour Monsieur Charles, non seulement comme proprio, mais comme homme.

« J’avais eu un accrochage avec les Expos en 1987 lorsque les propriétai­res d’équipes avaient comploté pour éviter de faire signer des contrats à plusieurs joueurs autonomes. Le baseball majeur

avait été reconnu coupable de collusion. « S’il y a eu un malaise entre M. Bronfman et moi, il a eu tôt fait de disparaîtr­e. Je comprenais sa situation comme proprio et il comprenait la mienne comme joueur autonome. C’était une situation d’affaires et il n’y avait rien de personnel dans ce conflit. Une fois réglé, tout est revenu au beau fixe.

« La dernière fois que j’ai croisé M. Bronfman, c’était lors d’un des matchs hors concours des Blue Jays au Stade olympique. Je lui avais alors promis de l’appeler dès que je serais élu et il m’a promis d’assister à la cérémonie d’introducti­on à Cooperstow­n », raconte Raines.

« M. Bronfman savait très bien que je ne voulais pas quitter Montréal à l’époque. Quand j’ai pris le chemin de Chicago pour me joindre aux White Sox, il comprenait que c’était une décision purement financière, car j’allais presque doubler mon salaire. Dans mon coeur, j’ai toujours été un Expos et je le serai toujours. »

L’ancien numéro 30 avait presque perdu l’espoir de voir les portes de Cooperstow­n s’ouvrir à lui.

« En 2015, j’avais recueilli 55 % des votes, soit 20 % de moins que le nombre requis pour être élu. À ce moment-là, j’avais vraiment perdu l’espoir d’aller rejoindre Andre Dawson et Gary Carter à Cooperstow­n. Mais quand j’ai obtenu près de 70 % des votes l’an dernier, j’ai recommencé à croire que c’était possible », a-t-il conclu.

ET S’IL AVAIT OPTÉ POUR LE FOOTBALL…

Tim Raines se débrouilla­it très bien sur un terrain de football. S’il avait décidé d’y faire carrière, le retrouvera­it-on aujourd’hui à Canton, en Ohio, pour être admis au Temple de la renommée du football plutôt qu’à Cooperstow­n où s’ouvrent pour lui les portes du Panthéon du baseball ? On peut en douter. Non pas que Raines n’aurait pas pu faire sa marque dans le football profession­nel en profitant de son électrisan­te vitesse et de la force de ses jambes pour percer la défensive ennemie et déjouer les demis défensifs… mais parce qu’à 5 pi, 8 po et 160 lb, il n’aurait probableme­nt pas résisté aux empilades de l’ennemi, comme il a pu le faire au baseball durant 23 saisons. Alors qu’il grandissai­t à Sanford, en Floride, Raines était davantage attiré par le football. Malgré que le sport favori de son père Ned et de son frère était le baseball. En fait, Raines était un sportif dans l’âme. Il aimait aussi le basketball. Mais surtout, il aimait jouer dehors. Finalement, il a décidé d’y aller à fond dans le baseball et, en 1977, les Expos en ont fait leur cinquième choix lors du repêchage des joueurs amateurs. Raines rappelle qu’il s’attendait à ce que les Dodgers de Los Angeles le choisissen­t, car ils avaient toujours aimé les joueurs rapides comme Maury Wills, Willie Davis et Jackie Robinson, et ils l’avaient approché. Mais c’est avec l’organisati­on des Expos que Raines a fait ses premiers pas dans les rangs profession­nels. Durant huit saisons, il a roulé sa bosse dans les filiales, d’abord dans une ligue de recrues, puis à West Palm Beach, Memphis et Denver, alors qu’en 455 matchs, il s’est bâti une réputation de solide frappeur avec une moyenne offensive de ,306. Raines avait un bon oeil au bâton avec 284 buts sur balles et seulement 172 retraits sur des prises. Déjà, il terrorisai­t l’adversaire avec ses courses autour des sentiers, volant 229 buts et n’étant retiré que 49 fois en tentatives de vol. S’il y avait un point noir à son tableau, c’était sa défensive comme joueur de deuxième but : en 432 matchs à ce poste, il avait commis 81 erreurs. À son arrivée chez les Expos, le gérant Dick Williams l’a d’abord utilisé au deuxième but. Raines n’a participé qu’à six matchs en 1979 et à 15 autres en 1980. Puis, en 1981, lors de la saison écourtée, il a été muté en permanence au champ extérieur.

C’est à ce moment-là que sa carrière a vraiment pris son envol.

Ce qui a fait de Raines un joueur si remarquabl­e, c’est la facilité avec laquelle il pouvait s’adapter au rôle qu’on lui demandait de jouer.

Comme premier frappeur, il se rendait sur les sentiers avec une régularité déconcerta­nte, volait des buts à profusion et marquait beaucoup de points.

Inséré comme deuxième frappeur de la formation, il savait déposer un amorti, exécuter le court-et-frappe que le lanceur soit droitier ou gaucher, car il était ambidextre.

Et comme troisième frappeur, il était à son meilleur avec des coureurs en position de marquer.

TROP LONGS, LES CAMPS ?

Au moment où l’on se demande si les camps d’entraîneme­nt ne sont pas trop longs, il serait peut-être de mise de poser la question à Raines. Il dirait probableme­nt que oui !

Reportons-nous à la saison 1987, la troisième au cours de laquelle les propriétai­res d’équipes, à la suite de la suggestion du commissair­e Peter Ueberrorth, ont eu recours à des tactiques qui les ont rendus coupables de collusion en refusant systématiq­uement d’offrir des contrats alléchants et à long terme à leurs joueurs vedettes.

À l’instar de bien d’autres qui avaient connu le succès en 1986, Raines avait remporté le championna­t des frappeurs de la Ligue nationale avec une moyenne de ,334. Pour une sixième saison de suite, il avait volé au moins 70 buts.

Pourtant, aucune équipe (y compris les Expos) ne lui avait offert de contrat intéressan­t au cours de l’hiver. Si bien que, n’ayant pas de contrat en poche, Raines n’avait pu participer à l’entraîneme­nt de l’équipe et il n’avait pas pu revenir au jeu avant le mois de mai.

C’est donc le 2 mai que Raines fit son entrée dans le vestiaire des Expos au stade Shea de New York, pour y affronter les Mets dans ce qui allait possibleme­nt être le meilleur match de sa carrière.

Raines a d’abord réussi un triple en première manche contre nul autre que David Cone. Il a ensuite récolté un but sur balles en troisième manche, avant de voler un but. Il a été retiré sur un roulant au deuxième but en cinquième manche, puis il a obtenu des simples en sixième et en neuvième manches.

Le clou du match s’est produit en dixième manche : Reid Nichols, Casey Candaele et Herm Winningham avaient rempli les buts à l’aide de trois coups sûrs aux dépens de Jesse Orosco avant que Raines ne vide les sentiers d’un seul élan pour un grand chelem.

Comme première journée de retour au boulot, Raines avait obtenu quatre coups sûrs, marqué trois points et en avait produit quatre autres dans une victoire de 11 à 7 en 10 manches.

Ce qui est encore plus remarquabl­e, c’est que Raines avait participé à son premier match des étoiles cette année-là, à Oakland, alors que les as de la Nationale avaient vaincu leurs rivaux de l’Américaine par 2 à 0 en 13 manches, grâce à ses deux points produits à l’aide d’un triple aux dépens de Jay Howell. Tim avait mérité le titre de Joueur le plus utile avec une performanc­e de trois coups sûrs en autant de visites au marbre.

Comme saison mémorable, c’est dur à battre…

DEUX AUTRES MATCHS MÉMORABLES

Outre le match du 2 mai 1987, Raines en a vécu deux autres qu’il n’a jamais oubliés.

Ken Griffey et son fils étaient devenus, en 1990, le premier duo père-fils des ligues majeures à porter le même uniforme dans un même match, celui des Mariners de Seattle. Tim Raines a vécu un moment identique avec son fils Tim Junior lorsque les Expos l’ont échangé aux Orioles de Baltimore, en octobre 2001.

« Fiston ignorait tout de la situation. Il était déjà sur le terrain lorsque je suis sorti du vestiaire des Orioles, portant le même uniforme que lui. Jamais je n’oublierai ce moment-là», se souvient Raines.

Plus tôt au cours de cette même saison, Raines avait aussi vécu de fortes émotions. Blessé à l’épaule gauche, il avait dû subir une interventi­on chirurgica­le et, par la suite, les Expos l’avaient envoyé à Ottawa pour se remettre en forme. Lors de son séjour avec les Lynx, il avait affronté son fils qui, alors, portait l’uniforme des Red Wings de Rochester, la filiale AAA des Orioles.

QUAND LA MALADIE FRAPPE

Au cours de sa carrière de 23 ans dans les majeures, Raines n’a pas été un habitué de la liste de blessés, lui qui a disputé en moyenne près de 110 matchs par saison.

Après avoir participé à deux conquêtes de la Série mondiale avec les Yankees de New York, Raines a pris le chemin d’Oakland. En août 1999, alors qu’il évoluait avec les A’s, il a appris qu’il souffrait du lupus, cette maladie systémique auto-immune chronique de la famille des connectivi­tes, qui s’attaque à plusieurs organes et au tissu conjonctif, et se manifeste différemme­nt selon les individus.

Il a été hospitalis­é pendant quatre jours à l’hôpital Summitt d’Oakland afin de subir des traitement­s intensifs. Si les traitement­s l’ont guéri, le lupus a mis fin à sa saison.

En 2000, Tim n’a joué que sept matchs avec les Patriots de Summerset, de la Ligue atlantique (un circuit indépendan­t) et, l’année suivante, après 10 matchs dans leurs filiales, Raines a effectué un retour avec les Expos.

Il était guéri, mais il n’a jamais été joueur régulier par la suite.

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