Le Journal de Montreal

DANS LE VENTRE DES BALEINES

Une jeune vétérinair­e étudie les nombreux décès

- ACDesplanq­uesJDM anne-caroline.desplanque­s @quebec Anne Caroline Desplanque­s

Enveloppée dans une combinaiso­n de pêche fermée par du duct tape et gants à vaisselle aux mains, la scientifiq­ue qui est entrée à l’intérieur des cadavres des baleines noires prévient qu’il est trop tôt pour conclure que des bateaux ou des équipement­s de pêche seraient responsabl­es de l’hécatombe.

« Présenteme­nt, on n’a pas encore assez de données pour tirer des conclusion­s », indique la vétérinair­e Émilie Couture, qui a dirigé cinq des six nécropsies réalisées jusqu’à présent sur les 10 baleines noires retrouvées dans le golfe.

Une vingtaine de scientifiq­ues mènent l’enquête et tous dépendent des échantillo­ns qu’a recueillis l’équipe de la Dre Couture. Pour ce faire, la vétérinair­e est littéralem­ent entrée dans les corps.

« C’est une grande cavité, donc on n’a pas d’autre choix que de se mettre dans le bain ! » indique-t-elle au Journal.

Très peu de vétérinair­es dans le monde sont aptes à diriger cette opération complexe qui se déroule à ciel ouvert, sur la plage, et peut durer jusqu’à huit heures. Émilie Couture est l’un d’eux. Fraîchemen­t diplômée de l’Université de Montréal, elle venait tout juste de terminer sa formation et d’obtenir un poste au Zoo de Granby quand la première nécropsie s’est présentée, aux Îles-de-la-Madeleine.

COLLISION...

Elle commence l’opération par une analyse macroscopi­que de la carcasse.

« On observe les tissus, les os, l’épiderme pour voir si on peut voir quelque chose à l’oeil », explique la vétérinair­e.

Trois des cinq baleines nécropsiée­s présentaie­nt des signes de « trauma contondant », signes qu’elles auraient été frappées par des bateaux ou des équipement­s de pêche, indique-t-elle.

Ces observatio­ns primaires sont toutefois insuffisan­tes pour conclure que l’activité humaine est responsabl­e des décès, insiste Mme Couture. Selon elle, il n’est pas impossible que l’intoxicati­on à l’algue rouge soit la cause sous-jacente des traumas.

... OU INTOXICATI­ON

Plus puissante que l’arsenic, l’algue rouge, ou Alexandriu­m tamarense, a un effet neurotoxiq­ue qui modifie le comporteme­nt de ses victimes et diminue leurs réflexes. Désorienté­es et affaiblies, les baleines seraient moins aptes à éviter les bateaux et les équipement­s de pêche, d’où la multiplica­tion de collisions.

L’algue rouge a été mise en cause dans le décès de 10 bélugas, de 85 phoques et de très nombreux oiseaux marins et poissons dans le fleuve à l’été 2008.

L’équipe de chercheurs québécois qui a nécropsié ces cadavres a été la première au monde à montrer qu’Alexandriu­m tamarense pouvait décimer massivemen­t la faune marine. Elle a publié ses résultats dans la revue scientifiq­ue PLOS en mai.

Les chercheurs expliquent qu’en août 2008 une marée rouge a été observée dans le fleuve à la suite de fortes précipitat­ions (plus de 130 mm en quatre jours) qui ont gonflé les rivières. L’algue a bénéficié de la baisse de la salinité du fleuve, des températur­es élevées et de la charge de nutriments rejetée dans le Saint-Laurent.

Pêches et Océans Canada fait actuelleme­nt des relevés pour savoir si les précipitat­ions de cette année ont engendré une autre éclosion massive d’algues rouges.

De son côté, son équipe cherche la trace du poison dans les échantillo­ns. Chaque tissu est analysé au microscope et on y dose les biotoxines présentes.

Il faudra plusieurs semaines aux scientifiq­ues pour assembler les pièces du casse-tête.

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La nécropsie d’une baleine est une opération gigantesqu­e qui nécessite la collaborat­ion d’une vingtaine de scientifiq­ues et de bénévoles. C’est une étape essentiell­e pour mettre le doigt sur la cause du décès. PHOTO COURTOISIE, GILBERT BOYER
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DRE ÉMILIE COUTURE Vétérinair­e

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