Le Journal de Montreal

L’autopsie d’une baleine en 10 étapes

On cherche à comprendre pourquoi 10 cétacés sont morts dans le golfe du Saint-Laurent depuis le début de l’été

- ANNE CAROLINE DESPLANQUE­S

Le Journal a eu accès aux coulisses des deux premières nécropsies de baleines noires aux Îles-de-laMadelein­e, grâce à la collaborat­ion d’un photograph­e bénévole qui a documenté l’opération pour l’équipe scientifiq­ue.

« C’était les premières baleines que je voyais, je ne les oublierai jamais », confie Gilbert Boyer, qui était en vacances aux Îles quand un ami lui a demandé son aide pour documenter les nécropsies.

« Ce qui est impression­nant, c’est la dimension. C’est énorme, c’est mort et c’est là sur la plage », raconte-t-il encore impression­né. L’odeur par contre ne l’a pas gêné. « À 500 mètres, on la sentait, mais au fur et à mesure qu’on s’approchait, l’odeur s’estompait. Le vent aux Îles, ça aide », dit-il.

« Il y a le vent et aussi la concentrat­ion. On est tellement concentré, nos autres sens sont tellement aux aguets, qu’on dirait que le cerveau fait abstractio­n de l’odeur », complète la Dre Émilie Couture.

BOUCHERIE À CIEL OUVERT

L’opération dure toute une journée. Huit heures de travail en plein soleil.

« C’est une boucherie à ciel ouvert », commente le photograph­e.

Une vingtaine de personnes s’affairent tout autour du corps.

« C’est assez surprenant l’ordre avec lequel ils travaillen­t. Chacun sait ce qu’il a à faire, même si c’est la première fois qu’ils font ça pour la plupart. Ils respectent une séquence très précise », relate M. Boyer.

Devant la décomposit­ion rapide des corps, il n’y a pas une minute à perdre, alors les scientifiq­ues ne s’arrêtent même pas pour manger ou boire. Les bénévoles les nourrissen­t et les abreuvent à la demande, directemen­t dans la bouche pour qu’ils n’aient pas à retirer leur combinaiso­n collée au duct tape et ne contaminen­t pas la carcasse, explique la Dre Couture.

UN PEU EN DÉSORDRE

« Le plus surprenant, ça a été quand la baleine a été ouverte complèteme­nt, relate M. Boyer. À l’intérieur, c’était comme un paquet d’os en désordre, comme l’intérieur d’une sacoche. C’était surprenant de voir un tel désordre dans le corps d’un être vivant normalemen­t constitué. »

« À la fin, eux (les scientifiq­ues) sont couverts de sang et de gras. Moi-même mes pantalons de pêche étaient pleins de graisse, raconte M. Boyer. Ce n’est vraiment pas un spectacle inspirant. »

Le photograph­e reviendra de vacances le coeur lourd et l’esprit inquiet.

« Le sentiment qu’on a en voyant ça, c’est quel gaspillage de nature terrible. »

« Ça nous démontre encore une fois à quel point le fleuve est un endroit très fragile, complète Émilie Couture. C’est important de documenter ce qui s’y passe. »

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