Le Journal de Montreal

Plaidoyer pour la justice

- LISE RAVARY e Blogueuse au Journal Communicat­rice, journalist­e et chroniqueu­se

Les demandeurs d’asile ne courent pas tous les mêmes dangers.

D’un côté, des familles sans doute mal prises et, on le comprend, inquiètes de l’avenir, mais dont la sécurité immédiate n’est pas menacée, entrent illégaleme­nt au Canada au son des applaudiss­ements d’élus opportunis­tes.

De l’autre, en Afghanista­n, des employés locaux de l’armée canadienne vivent dans la terreur, abandonnés par le gouverneme­nt canadien qui avait créé un programme pour leur permettre d’émigrer au Canada et d’échapper aux atrocités que réservent les talibans aux « collabos ». Mais le gouverneme­nt n’a pas respecté l’esprit de cette initiative.

On parle ici de gens qui ont risqué leur vie pour le Canada.

Le Globe and Mail écrivait en 2011 : « Travailler comme interprète pour les forces de l’OTAN est comparable à se promener avec une cible pour talibans dans le dos. »

INFÂME BUREAUCRAT­IE

Pendant ce temps, l’actuel ministre de l’Immigratio­n à Ottawa s’enfarge dans une histoire de calendrier pour ne pas amener au Canada un exinterprè­te, Karim Amiry, menacé de mort.

« Ils l’ont laissé derrière », m’a dit un Afghan qui le connaît.

Les délais étaient trop courts, les exigences de dates de service très difficiles à satisfaire.

Comme si ces gens avaient demandé de l’assurancec­hômage. C’est de l’assurancev­ie qu’ils voulaient !

Environ 800 interprète­s et leurs familles ont été reçus au Canada, mais beaucoup ont été refusés pour des raisons bureaucrat­iques.

L’HISTOIRE DE KARIM

Karim Amiry. Il vit à Kaboul. Il a 28 ans. Sa tête a été mise à prix par les talibans pour avoir agi comme interprète auprès du Royal 22e Régiment jusqu’à la fin de la mission canadienne en 2011. Il aurait raté la date limite pour le dépôt d’une demande de visa spécial, quelques semaines seulement après la fin de la mission.

Malgré un soutien politique et médiatique, l’actuel ministre de l’Immigratio­n, Ahmed Hussen, luimême un réfugié, lui a répondu en avril dernier : « So sorry, le programme est terminé », rapportait le Toronto Sun.

Mais les menaces contre les Karim Amiry, envers qui le Canada est redevable, n’ont pas de date de péremption.

« Too bad, mon chum. T’as manqué le dernier bus. Et il n’y a pas de taxi pour t’amener de Kaboul au Québec. Hon... »

TRAHISON ET ÉCRAN DE FUMÉE

Le journalist­e indépendan­t Martin Forgues, vétéran de l’Afghanista­n et auteur de L’Afghanicid­e, ne mâche pas ses mots : « C’est une trahison. »

Il m’a aussi confirmé que si ces exinterprè­tes pour le Canada sont en danger, ils ne sont pas un danger pour le Canada. « Ce sont des gens qui ont fait l’objet d’enquêtes de sécurité très approfondi­es et ils sont très scolarisés. »

On a beau avoir le coeur grand comme l’univers, la disponibil­ité des ressources détermine la liberté d’action de l’État en matière de réfugiés. Et puisqu’elles sont limitées, il faut aller au plus urgent.

C’est loin, l’Afghanista­n. Impossible de traverser la frontière à pied pour se mettre à l’abri en attendant de plaider leur cas devant les agents du ministère du Statut de réfugié en personne.

C’est bien d’avoir le coeur à la bonne place, mais c’est encore mieux quand on a ses priorités à la bonne place itou, monsieur le ministre de l’Immigratio­n.

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