Le Journal de Montreal

L’obsession ethnique

- LISE RAVARY

Une femme noire parle à la caméra. « Je ne savais pas d’où je venais, ethniqueme­nt parlant. J’ai alors envoyé un échantillo­n à AncestryDN­A. J’ai appris que j’étais 26 % Nigériane. Depuis, j’essaie d’apprendre tout ce que je peux sur ma culture. » Elle se regarde alors dans le miroir, émue, avec un gele sur la tête, cette coiffe traditionn­elle des femmes du sud du Nigeria.

COMMENT ÇA, SA CULTURE ?

Cette femme est née aux États-Unis, a grandi aux États-Unis, vit aux États-Unis et va probableme­nt mourir aux ÉtatsUnis. Pourquoi savoir qu’elle a 26 % de sang nigérian l’excite-t-il à ce point ?

Mystère identitair­e.

L’ADN ET LES NÉONAZIS

Je comprends par contre pourquoi autant de suprémacis­tes blancs se ruent sur les tests d’ADN, question de vérifier leur taux de pureté ethnique. Mais voilà, il arrive très souvent qu’ils se découvrent des ancêtres africains ou moyen-orientaux cachés dans leur buisson génétique.

Selon le site statnews, seulement un tiers des suprémacis­tes seraient satisfaits des résultats.

Que fait un néonazi qui apprend qu’il a des ancêtres syriens, pakistanai­s ou soudanais ? Il voit rouge ? Il se fâche noir ? Il demande qu’on lui redonne ses billets verts ?

On le sait maintenant, grâce à deux sociologue­s de l’Université de Californie à Los Angeles qui ont présenté les résultats d’une recherche au sujet de l’usage de tests d’ADN par des membres de groupes suprémacis­tes blancs lors du congrès de l’American Sociologic­al Associatio­n qui s’est tenu à Montréal en début de semaine.

Ils ont décortiqué les réactions des usagers du forum suprémacis­te Stormfront qui avaient découvert que, contrairem­ent à leurs Rottweiler­s, ils n’étaient pas « pure race » et qu’ils ne correspond­aient donc pas au critère du modérateur du forum, soit de n’avoir que des ancêtres européens non juifs. « No exceptions. »

Ceux qui survivent au choc d’apprendre qu’ils ne sont pas 100 % blancs vont souvent recommence­r le test. Je devine que plusieurs ont aussi une bonne conversati­on avec leurs grands-parents.

Il fallait s’y attendre : déçus et dubita- tifs, d’autres colportent que l’industrie des tests d’ADN est contrôlée par les Juifs. Mais beaucoup rejettent les résultats, préférant se fier au fait qu’ils se « sentent blancs », ce que confirmera un simple miroir.

JE SUIS TENTÉE

Je suis attirée par ces tests d’ADN parce que j’ai été adoptée et que j’ignore tout de mes ancêtres. Mais je résiste.

Je demeure convaincue que nous sommes, ici et maintenant, le fruit de notre environnem­ent et son histoire de nos valeurs et de nos expérience­s de vie ainsi que de celles de nos proches, que l’on soit liés ou non à eux par le sang. Et puis, l’Homo sapiens est originaire d’Afrique.

Si j’apprenais que je suis 15 % Écossaise, 43 % Française, 10 % Italienne et 32 % Sud-Africaine, cela changerait quoi ? À part de vouloir me mettre un kilt pour aller acheter du Camembert en Fiat 500, une vuvuzela sur le siège arrière ?

Intriguée, je talonne depuis quelques jours quelques excités de la « race » québécoise sur les réseaux sociaux. Quel étonnant univers !

Si j’étais généticien­ne, juste pour me bidonner, je créerais un test d’ADN qui indiquerai­t s’ils ont, dans leur lignée, des ancêtres fédéralist­es venus de Thunder Bay ou d’Edmonton…

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