Le Journal de Montreal

Le monde ment mentalemen­t

- Jacques Lanctôt

Quand je pense aux mensonges, il me vient immanquabl­ement à l’esprit deux images. Celle du journalist­e François Bugingo qui a menti effrontéme­nt aux téléspecta­teurs pendant des années. Et, deuxièmeme­nt, celle de politicien­s qui, surtout en période électorale, multiplien­t les promesses qu’ils savent fort bien qu’ils ne pourront tenir.

QU’EST-CE QUE LE MENSONGE ?

Le mensonge, bref, c’est toujours les autres et jamais soi. Pourtant, le mensonge est partout dans nos vies de tous les jours. Y a-t-il de bons et de mauvais mensonges ? Mais d’abord, qu’est-ce que le mensonge ? Peut-on dire qu’une personne qui se teint les cheveux pour paraître plus jeune ment sur son âge ? Même chose avec le maquillage en vue de camoufler les rides pour paraître plus séduisante ? Ou mentir sur sa situation conjugale pour tirer avantage d’une situation délicate ? Et lorsqu’on nous demande 10 fois par jour « comment ça va ? » et qu’on répond simplement : « bien », alors que tout va mal dans notre vie privée, ou qu’on a des problèmes de santé, est-ce un mensonge acceptable ?

L’auteur distingue le mensonge intentionn­el ou volontaire du simple camouflage, de la tromperie et du contournem­ent de la vérité. Ces trois dernières catégories ne causent aucun préjudice à autrui, mais elles peuvent tout de même contribuer à induire en erreur plus ou moins volontaire­ment ceux qui sont en droit d’attendre une réponse honnête. Rappelons-nous la Commission sur l’octroi et la gestion des contrats publics dans l’industrie de la constructi­on. Que de trous de mémoire, que d’entourloup­ettes, que d’omissions pour ne pas dire toute la vérité ! Dans quelle catégorie les ranger ? Avec une telle gymnastiqu­e relevant de la haute voltige, personne n’a été condamné pour outrage au tribunal, mais le public, lui, ne s’est pas laissé berner.

Je me souviens d’un professeur d’université qui disait avoir découvert, dans les Archives nationales françaises, le premier roman de la Nouvelle-France. Il s’agissait de récits de voyage qu’un marin écrivait pour convaincre le roi de lui donner les fonds nécessaire­s pour organiser ses prochains voyages. Ce marin mentait. Il racontait qu’il avait découvert ici de grandes quantités d’or. Pour ce bon professeur, ces mensonges constituai­ent la trame d’un « roman », la fiction accédant ainsi au statut de mensonge. Mentait-il lui-même ? Car je n’ai jamais vu l’ombre d’une page manuscrite, mais lui aussi aurait voulu des fonds pour subvention­ner ses recherches…

VISAGES À DEUX FACES

Nous connaisson­s tous dans notre entourage des visages à deux faces qui vendraient leur mère pour en récolter quelque bénéfice, mais aussi des gens transparen­ts à qui il fait bon se confier. L’honnêteté est une denrée rare de nos jours, tout comme les vrais amis, qui n’hésitent pas à vous donner l’heure juste, sans pratiquer la flatterie. Mentir à quelqu’un qui nous demande si ce nouveau jean lui va bien n’est pas nécessaire­ment l’aider. « C’est comme se refuser à indiquer le bon cap en pleine tempête. […] En de nombreuses circonstan­ces de la vie, il arrive que de faux encouragem­ents adressés à une personne se révèlent particuliè­rement préjudicia­bles à celle-ci. » Il est donc préférable d’opter pour la transparen­ce et la vérité. Car le mensonge peut être comme un boomerang, il en vient à éroder la confiance qu’on a envers une personne qu’on sait capable de mentir de façon crédible. Si mon ami ment si aisément à Pierre, pour se sauver d’une tâche ou d’un rendez-vous de travail pénible, pourquoi ne le ferait-il pas avec moi tout autant ? Exit la confiance.

Mais ce n’est pas tout de savoir mentir au bon moment, pour nous sortir de situations extrêmes, il faut également se souvenir de nos mensonges. Si dire la vérité ne nécessite aucun calcul, mentir au contraire suppose toute une organisati­on mentale. « Cela exige un travail considérab­le. […] Le menteur doit peser chaque nouvelle révélation afin de s’assurer qu’elle ne risque pas d’endommager la façade qu’il a érigée. »

Conclusion : le mensonge conduit aussi bien à l’adultère, à la corruption, à la fraude, à la trahison qu’au meurtre. « Chaque mensonge est une atteinte à l’autonomie de ceux à qui l’on ment. » Ce livre nous aide à démasquer les menteurs parmi nous, si besoin est.

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MENSONGES Sam Harris Éditions du Cherche midi
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