Le Journal de Montreal

Un condamné à mort échappe à son exécution

Une récente analyse d’ADN réalisée sur l’arme du crime ne correspond pas et remet tout en question

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WASHINGTON | (AFP) Le gouverneur de l’État américain du Missouri a institué hier une commission d’enquête chargée d’examiner le cas d’un Noir condamné à mort, quelques heures seulement avant l’exécution prévue du prisonnier.

« La peine capitale est le châtiment ultime et permanent. Pour procéder à une mise à mort, la population du Missouri doit avoir pleine confiance dans le jugement de culpabilit­é », a justifié dans un communiqué Eric Greitens.

Ce gouverneur républicai­n a ainsi offert un sursis inespéré à Marcellus Williams, qui avait été reconnu coupable d’avoir poignardé Felicia Gayle, une femme blanche et ex-reporter, en août 1998. Le détenu de 48 ans aurait dû recevoir une injection létale à 18 h (23 h GMT).

M. Williams clame depuis bientôt deux décennies son innocence et ses avocats, criant à l’erreur judiciaire, avaient lancé ces derniers jours des recours de la dernière chance, y compris devant la Cour suprême à Washington.

Le gouverneur Greitens précisera prochainem­ent qui siégera dans la commission d’enquête de cinq membres.

Sa décision de suspendre in extremis l’exécution de M. Williams confirme que les arguments avancés par les soutiens du prisonnier méritaient d’être examinés.

Ce sursis est en revanche un revers pour les procureurs du Missouri. Selon eux, Williams était entré par effraction au domicile de Felicia Gayle, en banlieue de Saint-Louis, dans l’intention d’y perpétrer un cambriolag­e.

Il aurait alors surpris la femme de 42 ans sortant de sa douche, lui portant 43 coups de couteau.

TÉMOIGNAGE­S RÉTRIBUÉS

La police avait affirmé avoir retrouvé dans le coffre d’une voiture, que conduisait à l’époque Marcellus Williams, des effets personnels de la victime, dont une calculatri­ce et une règle qu’elle utilisait quand elle travaillai­t au journal SaintLouis Post-Dispatch.

À son procès en 2001, le suspect avait été condamné sur la base de deux témoignage­s l’accusant du meurtre, émanant d’un détenu ayant partagé sa cellule et d’une de ses ex-compagnes, Laura Asaro.

Pour les défenseurs du condamné, ces témoignage­s recueillis auprès de personnes au passé trouble n’avaient aucune valeur, d’autant plus que les deux intéressés avaient été rétribués financière­ment par le bureau du procureur.

Mais le rebondisse­ment-surprise d’hier a surtout été déclenché par une récente analyse d’ADN réalisée sur l’arme du crime, qui a permis de développer un profil masculin ne correspond­ant pas à celui de Marcellus Williams. « Pas une seule preuve matérielle n’a été présentée (au procès) et aujourd’hui il existe une preuve matérielle qui l’innocente complèteme­nt », a déclaré hier à l’AFP Kent Gipson, l’avocat du condamné.

« L’ADN est irréfutabl­e, il ne peut pas se tromper, tandis qu’un témoin oculaire peut se fourvoyer, un indic en prison peut mentir, ce que nous affirmons en l’espèce. Quant aux éléments de preuve indirects, ils peuvent s’expliquer de façon simple », a poursuivi l’avocat.

Cette nouvelle analyse ADN avait pourtant été balayée par l’État du Missouri, qui avait assuré accorder davantage de crédit aux témoignage­s, une posture jugée « surréalist­e » par M. Gipson.

Quant aux objets retrouvés « un an après » par la police, l’avocat en avait atténué la portée : M. Williams côtoyait des marginaux et des petits délinquant­s chez qui l’échange du fruit de cambriolag­es est courant, a-t-il expliqué.

La voiture dans le coffre duquel ont été retrouvés des effets de Mme Gayle n’était selon lui qu’une épave, au coffre forcé, où d’ailleurs Laura Asaro avait l’habitude de dormir.

11 BLANCS DANS LE JURY

Pour la NAACP, première organisati­on de défense des Noirs américains, l’affaire Marcellus Williams regroupe « tous » les travers souvent constatés dans les condamnati­ons pénales des Noirs : « l’injustice raciale, les disparités dans la défense et la sentence, les fautes des procureurs ».

L’accusé avait été condamné par un jury composé de 11 Blancs et un Noir, après que six jurés noirs eurent été écartés lors d’un processus de récusation controvers­é.

Dans le Missouri, un accusé a 14 fois plus de chances d’être condamné à la peine capitale quand la victime est une femme blanche.

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PHOTO AFP Marcellus Williams clame son innocence depuis près de 20 ans.

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