Comment emberlificoter un lobbyiste
Peut-on, sans faire la morale ni nous assener de leçons, donner à voir les ravages causés par la prospection minière dans les régions du Québec ? Assurément, démontre avec brio le dernier roman de Bruno Massé, qui fourmille de scènes amusantes, déconcertantes. Et subtilement riches d’enseignements.
COMPLIQUÉ ?
Dans quel guêpier Carl Sauriol, héros de Creuse ton trou, s’est-il fourré? À l’approche de sa retraite, la firme de lobbying pour laquelle il travaille lui confie une dernière mission. Il s’agit de grimper dans le nord du Québec, au petit village de SaintJude-le-Vaillant, pour retrouver un prospecteur minier qui a disparu et obtenir du maire son accord pour qu’une compagnie minière vienne y fouiller le sol.
Compliqué ? Non, pas quand on a derrière la cravate tout un passé de missions du même type, menées en Afrique comme en Amérique du Sud et en Asie. Pas quand on est, comme Carl, l’un des meilleurs lobbyistes de sa profession. Non, ce n’est pas un village québécois qui va nous impressionner !
Hélas, dès le départ, ça ira de travers : alors qu’il est presque rendu à Saint-Jude, l’efficace lobbyiste se bute à un caribou qui envoie sa voiture dans le fossé. Mauvaise rencontre, la première d’une longue série. L’un après l’autre, les aimables habitants du village arrivent à dérouter ses manoeuvres de séduction, de corruption (Carl, en bon manipulateur, a toujours sous la main des dollars à distribuer), de menaces (Carl, en habitué des coups durs, traîne toujours un Rutger .45). Notre homme en perd tous ses repères.
DE MAL EN PIS
Pendant ce temps, à Montréal, la pression s’accentue. La minière veut son entente, et rapidement. Redgie, complice d’affaires de longue date de Carl et maintenant son superviseur, ne veut donc rien savoir des difficultés de son collègue. Compliqué? À SaintJude, ce « trou de bouette »? Allons, Carl, ressaisis-toi !
Mais ça ira de mal en pis. De Brigitte Lahaie, remorqueuse, à Kevun avec un « u », en passant par Fern, Cherry et Gros Bobbé, jusqu’au curieux maire Lerose, nul ne donnera de répit à Carl. Il faut bien plus que creuser un trou pour réussir une opération minière !
Le roman aurait pu verser dans l’enquête policière (après tout, il y a un disparu à retrouver) ou dans la grande dénonciation politique (lobby, affaires, faveurs à acheter : tout y invite). Mais grâce à son humour grinçant et à ses fines observations sur la vie loin des grands centres, Bruno Massé fait bien mieux : il nous raconte une histoire de résistance au ras du sol. Elle met en scène du vrai monde qui, chacun de son bord de clôture, aspire à la tranquillité – sous forme de retraite à venir pour l’un, de qualité de vie à préserver pour les autres.
Et sur fond d’invraisemblances rigolotes, tout aura été mis en lumière : la désinvolture des gros face à l’ingéniosité des petits. Dans le roman, ceux-ci gagnent, et on sourit, mais dans la vraie vie ?