Guy Fournier:
Vers la légalisation du vol de signaux?
La chronique de jeudi dernier sur le déclin éventuel de Netflix m’a valu nombre de courriels sceptiques. Le même jour, elle fut aussi le prétexte d’interventions étonnantes à l’émission d’Isabelle Maréchal au 98,5. L’animatrice m’y avait invité en compagnie d’André Mondoux, professeur à l’École de média de l’UQAM, pour débattre des nouvelles habitudes d’écoute de la télé. Après notre discussion, l’animatrice a ouvert les lignes aux auditeurs. Au moins un intervenant sur deux a révélé sans gêne avoir recours à des moyens illicites pour regarder ses émissions de télévision. Soit qu’il se branche sur des sites internet qui piratent les films et les séries, soit qu’il utilise des gadgets qu’on se procure surtout aux É-U, soit qu’il squatte tout simplement le câble du voisin. Toutes les astuces semblent bonnes pour réduire les frais d’un abonnement au câble ou au satellite. Les plus futés, les cracks de l’informatique prennent un malin plaisir à dénicher des gadgets qui leur permettent de contourner le système.
INTERNET EST INDISPENSABLE
Les resquilleurs ne sont sûrement pas aussi nombreux que pourrait le laisser croire le nombre de ces intervenants désinvoltes du 98,5, sinon Vidéotron, Bell, Cogeco et compagnie seraient en faillite, ce qui n’est pas le cas. N’empêche que nos entreprises de télécommunications sont de plus en plus inquiètes de voir chaque mois un pourcentage de leurs abonnés annuler leur service ou le réduire de façon significative. Ceux qui diminuent le nombre de chaînes auxquelles ils s’abonnent ou qui abandonnent tout service de télé conservent leur connexion internet. Sans elle, pas de salut ! Le professeur Mondoux s’est montré moins indigné que moi devant les resquilleurs. Après l’émission, il m’a rappelé, fort justement d’ailleurs, que les câblodistributeurs furent les premiers à resquiller. Dès le début de la télévision canadienne, de petits malins (comme mon ami André Chagnon et le regretté Ted Rogers, de Toronto) ont compris qu’il y avait une piastre à faire en relayant par câble, de foyer en foyer, les signaux de télé transmis par ondes hertziennes aux maisons trop éloignées des antennes de transmission pour pouvoir les capter.
LA RÉCRÉATION EST TERMINÉE
Leur bonne affaire est même devenue une mine d’or, car les câblodistributeurs s’appropriaient les signaux sans rien débourser. Les émissions des réseaux américains pour lesquelles ils ne payaient aucun droit constituaient même une forte attraction pour leur clientèle. D’accord, les câblos avaient construit à grands frais leur infrastructure, mais le contenu, leur matière première, était gratuit. Ce n’est qu’environ trois décennies plus tard qu’on a sifflé la fin de la récréation. Les câblodistributeurs furent dès lors obligés de payer des droits pour les signaux étrangers qu’ils relayaient. Aujourd’hui, bon an mal an, ils déboursent plus de 50 millions $ annuellement en redevances. L’industrie de la câblodistribution a des revenus qui dépassent huit milliards de dollars par an, mais c’est grâce au « vol » qu’elle a vu le jour et prospéré. Le professeur Mondoux pense qu’on finira par légaliser, un jour ou l’autre, tous ces gadgets illicites qu’on achète pour diminuer le coût de son abonnement au câble et au satellite. J’ai bien peur que de plus en plus de téléspectateurs y aient recours si les chaînes payantes continuent de se multiplier et qu’on doive s’abonner à de plus en plus de services pour voir la télévision de son choix.