Le Journal de Montreal

Les Québécois et la langue française

- MATHIEU BOCK-CÔTÉ

60 % : selon un récent sondage paru pour marquer les 40 ans de la loi 101, c’est le pourcentag­e de Québécois souhaitant ouvrir l’école anglaise aux francophon­es et aux allophones. Et 53 % des francophon­es sont d’accord.

En d’autres mots, les Québécois ont beau faire semblant de tenir à leur langue, ils désirent ouvertemen­t ébrécher son noyau et renient son principe.

C’est probableme­nt la nouvelle politique la plus importante de l’année. Elle n’est pas vraiment surprenant­e non plus. Elle est conforme à la tendance des dernières années.

FRANÇAIS

Ceux qui relativise­nt tout nous expliquent de ne pas nous en faire et répètent qu’apprendre l’anglais ne veut pas dire qu’on désapprend­ra le français.

C’est une pirouette.

Dans les faits, lorsqu’on espère éduquer ses enfants dans une autre langue que la sienne, c’est qu’on considère déjà qu’elle appartient au passé, qu’elle est folkloriqu­e et qu’elle n’ouvre plus les portes de l’avenir. Au Québec, quand l’anglais progresse, c’est que le français régresse. Le Québec bilingue, c’est un Québec anglais.

Les Québécois, au fond d’eux-mêmes, sont peut-être fatigués d’exister.

Jean Bouthillet­te est un essayiste malheureus­ement oublié. Il a pourtant publié un livre essentiel, en 1972. Le titre : Le Canadien français et son double. Il nous aide à penser le paradoxe de l’identité québécoise. D’un côté, on trouve un peuple qui a survécu à travers les siècles et qui a lutté pour conserver sa culture. D’un autre, ce peuple ne cesse de douter de lui-même. Parler français, vivre en français, espérer en français, en Amérique, est-ce que ça vaut vraiment la peine ?

Est-ce que notre culture n’est pas un fardeau dont il faudrait se délivrer et une prison dont il faudrait s’évader ?

Pourquoi résister à l’Amérique anglophone alors qu’elle représente la puissance de notre temps. Être Québécois, n’est-ce pas trop exigeant ?

C’est ce que Jean Bouthillet­te appelait la tentation de la mort. Cette tentation est revenue nous hanter à plusieurs reprises dans notre histoire. Elle est particuliè­rement vive quand le peuple québécois doute de son avenir.

Et elle est de retour aujourd’hui. Mais elle se maquille en empruntant les traits d’une modernité flamboyant­e.

DISPARAÎTR­E

On ne dit plus : ce Québécois est un assimilé. On dit : c’est un citoyen du monde.

On ne dit plus : il renie son identité. On dit : il est ouvert à l’autre.

On ne dit plus : il s’écrase devant le Canada anglais. On dit : il a une approche constructi­ve avec nos partenaire­s canadiens.

On ne dit plus : notre peuple, peu à peu, va disparaîtr­e. On dit : notre peuple évolue et s’adapte à la diversité.

De la commémorat­ion de la visite du général de Gaulle à celle de la loi 101, ces derniers mois ont été consacrés à la célébratio­n de pages glorieuses de notre histoire. Nous nous sommes rappelé les moments où notre peuple était plein de vie et conquérant.

Le contraste avec les années présentes était absolument violent.

Peut-être que, dans un siècle, on dira des premières décennies des années 2000 qu’elles ont été l’époque de la disparitio­n tranquille.

Les Québécois, au fond d’eux-mêmes, sont peut-être fatigués d’exister.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada