Le Journal de Montreal

Des super mamans épuisées

La consommati­on de médicament­s est de plus en plus grande chez les femmes

- Valérie Bidégaré VBidegareJ­DQ

Vingt ans après l’implantati­on du système de garderies publiques devant permettre aux mères de respirer, elles sont de plus en plus nombreuses à être épuisées et à consommer des antidépres­seurs, déplorent des experts.

« C’est un phénomène qui touche toutes les femmes et qui s’inscrit en continuité avec des discours et des contrainte­s vécues dans les génération­s précédente­s », estime Hélène Charron, directrice de la recherche au Conseil du statut de la femme,

Hélène Lee-Gosselin, directrice de l’Institut Femmes, Société, Égalité et Équité, abonde dans le même sens : « Certaines femmes ont envers elles-mêmes des attentes d’être parfaites, donc des mères parfaites, des profession­nelles parfaites, des conjointes parfaites, ditelle, et certaines poussent ces attentes vers un corps parfait. »

TÉMOIGNAGE­S TROUBLANTS

Quelques-unes de ces « super mamans » (voir textes dans la page ci-contre) ont confié sans gêne au Journal être au bout du rouleau : √ « Des jours, je n’en pouvais juste plus. J’allais dans la salle de bain. Je pleurais, pleurais, pleurais », nous a confié Julie Trudeau. √ Alexandra Takech n’a pas toujours retenu ses larmes elle non plus : « Je me suis déjà cachée sous mon bureau pour ne pas qu’on me voie pleurer. » √ « Pour la majorité des gens, être maman à la maison, c’est avoir toujours son lavage fait, une maison propre comme dans les magazines, et des enfants heureux », estime pour sa part Stéphanie Coallier-Brisson. √ Audrey Richard est d’accord : « Je dois me forcer à être de bonne humeur avec les enfants parce que je trouve ça dur de voir l’état de la maison, les tâches qui n’en finissent plus, les lits défaits, les piles de vêtements qui s’accumulent. » Résultat, de plus en plus de femmes consultent pour des troubles anxieux ou dépressifs, constate le psychologu­e Camillio Zacchia, de l’Institut universita­ire en santé mentale Douglas. « On vit dans un monde où on met énormément d’importance sur le désir de corriger tout, d’atteindre la perfection », dit-il.

De plus, des données obtenues par Le Journal montrent que la consommati­on d’antidépres­seurs ne cesse de croître chez les femmes et qu’elles en prennent deux fois plus que les hommes.

LES FEMMES EN FONT TROP

Pour sa part, Hélène Lee-Gosselin croit que le système de garderies publiques, qui devait permettre aux femmes d’intégrer le marché du travail tout en délaissant leur rôle traditionn­el, s’est en quelque sorte retourné contre elles.

« Historique­ment, les entreprise­s ont majoritair­ement existé avec de la maind’oeuvre masculine qui bénéficiai­t de la présence de quelqu’un à la maison pour s’occuper du reste », rappelle-t-elle.

Or, même si les femmes restent moins à la maison pour s’occuper des enfants que dans les années 60 et 70, elles continuent de s’acquitter de leur rôle de mère, en plus d’occuper un emploi. Ce qui ne fait qu’augmenter leur stress. À cela s’ajoutent les réseaux sociaux et les médias qui accentuent le poids sur les épaules des mères désirant s’épanouir financière­ment, souligne-t-elle.

« C’est assez affolant de voir comment ces images traditionn­elles de la mère parfaite continuent à coexister avec des messages qui disent aux femmes : “vous devez prendre en charge votre autonomie personnell­e et financière, travailler, avoir une carrière”, dit Mme Lee-Gosselin. Le modèle de la femme parfaite, c’est la super femme. »

Un constat que dresse également Camillio Zacchia, qui note lui aussi que les rôles se multiplien­t pour la femme.

« Avant, la maman était une maman. Maintenant, elle a tendance à vouloir tout faire, concède-t-il. On met beaucoup plus d’emphase sur le rôle profession­nel et on essaie de garder l’esprit familial, mais on ne peut pas faire deux choses aussi bien. »

Quant au Conseil du statut de la femme, il remarque également cette « double contrainte » accentuée par la création d’un système de garderies publiques.

Une mère de trois enfants de Rivièreà-Pierre carbure aux défis. Le boulot, la marmaille, les tâches ménagères, les congrès, la garderie, les devoirs, les différents cours et les activités figurent notamment à l’agenda de cette super maman, qui parvient à tout conjuguer grâce au lâcher-prise et à une « belle complicité » avec son conjoint.

« Ça a embarqué tout seul. On a vu nos forces, on se complète super bien », confie Marie-Christine Morasse, âgée de 33 ans.

Cette maman de trois enfants a toujours vécu à cent à l’heure et n’a pas ralenti la cadence depuis leur naissance.

Sa routine effrénée comprend notamment le travail et les congrès, qui l’obligent souvent à partir à l’extérieur, la garderie, les devoirs, les repas, le cours de danse de sa fille et le hockey de son garçon, la balle molle avec son conjoint, l’été, et le hockey, l’hiver, l’organisati­on d’activités et de festivals pour sa municipali­té, puis la présidence du Conseil d’établissem­ent de l’école. Ouf...

« Quand on ne fait rien, on dirait qu’on se cherche de l’ouvrage », avoue la super maman.

Heureuseme­nt, elle compte sur l’aide de son conjoint. « Les bains que j’ai donnés aux enfants, je les compte sur les doigts d’une main, assure-t-elle. Mon chum s’occupe aussi du ramassage de fin de soirée. Je prépare les lunchs, remplis le lave-vaisselle, pars une brassée. » Le couple parvient même à se retrouver sur le sofa, le soir venu. « Ma brassée dans la laveuse, ça attend au lendemain si je n’ai pas le temps. Je me donne le temps de prendre du temps pour moi. »

LÂCHER PRISE

Un concept que le psychologu­e Camilio Zacchia s’évertue à faire comprendre aux super mamans qui se tournent vers la thérapie pour traiter des troubles anxieux ou dépressifs liés au rythme de vie effréné et à la quête de la perfection, notamment.

« On essaie de leur faire comprendre qu’elles peuvent faire beaucoup sans tout faire. Qu’elles sont de bonnes mères sans être une mère parfaite », indique-t-il. « De revoir leurs priorités. On travaille la confiance, les standards, les exigences et cette fameuse question du contrôle de ce qu’on peut et ne peut pas faire et l’accepter. »

À cet effet, Mme Morasse consent que la clé du succès réside dans le lâcher-prise. « J’aime que ma maison soit propre et à l’ordre, mais j’ai laissé ça aller complèteme­nt, confirmet-elle. Le bordel dans le salon va rester là jusqu’à ce qu’on se dise “on ramasse tout le monde ensemble”, et ensuite on s’assoit pour écouter un film. C’est propre et on est contents. »

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PHOTO PASCAL HUOT En plus du travail, les mamans comme Audrey Richard (photo) doivent notamment enchaîner les tâches ménagères, la préparatio­n des repas et les soins à la marmaille.
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PHOTO JEAN-FRANCOIS DESGAGNES Pour Marie-Christine Morasse, la clé du succès réside dans le « lâcher-prise » et une « belle complicité » avec son conjoint, alors que le couple s’est naturellem­ent départagé les tâches quotidienn­es à effectuer.

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