Le Journal de Montreal

Confession­s d’un vieux prof

- JOSEPH FACAL joseph.facal@quebecorme­dia.com

J’en suis à ma 14e rentrée automnale à l’université. Je me suis donné comme règle d’avoir, chaque année, au moins un groupe qui arrive directemen­t du cégep.

Dire que je suis nerveux serait un bien grand mot, mais je ressens toujours une fébrilité qui, je l’espère, ne me quittera jamais.

Je ne suis pas encore blasé et je ne voudrais pas le devenir.

DIFFÉRENTS ?

Quand on regarde les jeunes d’aujourd’hui, penchés sur leur téléphone dès qu’ils ont une seconde, des écouteurs dans les oreilles, on a l’impression qu’une mutation génétique s’est produite.

Faux. Il suffit de leur parler pour découvrir qu’ils ne sont pas si différents de ce que nous étions à leur âge : les mêmes doutes, projets, rêves, aspiration­s, confusions, etc.

Mais il est vrai que bien des choses ont changé dans les salles de classe. Je ne parle ici que de ce que j’ai personnell­ement sous les yeux.

C’est évidemment la technologi­e qui est le moteur des changement­s les plus visibles.

Le courriel a terribleme­nt réduit le contact entre le professeur et les étudiants, et c’est infiniment regrettabl­e, même s’il a des avantages évidents.

Le nombre de mains qui se lèvent pour poser une question me semble infiniment plus faible que jadis.

Mais c’est aussi, je pense, parce qu’ils craignent, plus que moi à leur âge, le jugement de leur entourage quand ils s’expriment.

Pour régler le fléau des cellulaire­s qui sonnent intempesti­vement, je n’ai trouvé qu’une solution réellement efficace : les étudiants sont prévenus d’avance que toute sonnerie obligera le propriétai­re de l’engin à quitter la classe.

J’y vois un immense manque de respect, d’autant que 99,9 % des messages n’ont rien d’urgent.

Dans les travaux de recherche, il est frappant de voir la difficulté des étudiants à distinguer une source électroniq­ue crédible d’une source douteuse, voire farfelue.

LIBERTÉ

Ils font aussi une gestion extraordin­airement stratégiqu­e de leur parcours académique : tout est fait pour rentabilis­er au maximum les heures investies.

Si vous recommande­z un texte parce qu’il est « intéressan­t », il sera ignoré. Il faut qu’il soit matière à examen pour être lu.

C’est bien sûr parce que l’immense majorité travaille de longues heures en plus de leurs études : pour subvenir à des besoins de base ou pour se payer un niveau de vie qui étonne ceux qui se souviennen­t du nôtre à leur âge ? Devinez. Mes études universita­ires furent les plus belles années de ma vie précisémen­t parce que ma liberté était presque absolue.

Je me disais qu’il fallait en profiter avant de rentrer dans l’ordre social pour vrai.

Cela dit, mon cours essaie, notamment, de leur montrer comment la société nous influence sans que nous en soyons toujours conscients.

Alors, comment leur reprocher d’être les reflets d’une société qu’ils n’ont pas construite ?

J’ai choisi de les aimer comme ils sont.

J’ai choisi de les aimer comme ils sont.

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