Confessions d’un vieux prof
J’en suis à ma 14e rentrée automnale à l’université. Je me suis donné comme règle d’avoir, chaque année, au moins un groupe qui arrive directement du cégep.
Dire que je suis nerveux serait un bien grand mot, mais je ressens toujours une fébrilité qui, je l’espère, ne me quittera jamais.
Je ne suis pas encore blasé et je ne voudrais pas le devenir.
DIFFÉRENTS ?
Quand on regarde les jeunes d’aujourd’hui, penchés sur leur téléphone dès qu’ils ont une seconde, des écouteurs dans les oreilles, on a l’impression qu’une mutation génétique s’est produite.
Faux. Il suffit de leur parler pour découvrir qu’ils ne sont pas si différents de ce que nous étions à leur âge : les mêmes doutes, projets, rêves, aspirations, confusions, etc.
Mais il est vrai que bien des choses ont changé dans les salles de classe. Je ne parle ici que de ce que j’ai personnellement sous les yeux.
C’est évidemment la technologie qui est le moteur des changements les plus visibles.
Le courriel a terriblement réduit le contact entre le professeur et les étudiants, et c’est infiniment regrettable, même s’il a des avantages évidents.
Le nombre de mains qui se lèvent pour poser une question me semble infiniment plus faible que jadis.
Mais c’est aussi, je pense, parce qu’ils craignent, plus que moi à leur âge, le jugement de leur entourage quand ils s’expriment.
Pour régler le fléau des cellulaires qui sonnent intempestivement, je n’ai trouvé qu’une solution réellement efficace : les étudiants sont prévenus d’avance que toute sonnerie obligera le propriétaire de l’engin à quitter la classe.
J’y vois un immense manque de respect, d’autant que 99,9 % des messages n’ont rien d’urgent.
Dans les travaux de recherche, il est frappant de voir la difficulté des étudiants à distinguer une source électronique crédible d’une source douteuse, voire farfelue.
LIBERTÉ
Ils font aussi une gestion extraordinairement stratégique de leur parcours académique : tout est fait pour rentabiliser au maximum les heures investies.
Si vous recommandez un texte parce qu’il est « intéressant », il sera ignoré. Il faut qu’il soit matière à examen pour être lu.
C’est bien sûr parce que l’immense majorité travaille de longues heures en plus de leurs études : pour subvenir à des besoins de base ou pour se payer un niveau de vie qui étonne ceux qui se souviennent du nôtre à leur âge ? Devinez. Mes études universitaires furent les plus belles années de ma vie précisément parce que ma liberté était presque absolue.
Je me disais qu’il fallait en profiter avant de rentrer dans l’ordre social pour vrai.
Cela dit, mon cours essaie, notamment, de leur montrer comment la société nous influence sans que nous en soyons toujours conscients.
Alors, comment leur reprocher d’être les reflets d’une société qu’ils n’ont pas construite ?
J’ai choisi de les aimer comme ils sont.
J’ai choisi de les aimer comme ils sont.