La mémoire refoulée
Le soir du 4 septembre 2012, la haine de Richard Henry Bain contre les souverainistes basculait dans la violence meurtrière. Sa vraie cible était la nouvelle première ministre Pauline Marois et ses partisans réunis au Métropolis. Maîtrisé par les policiers, il a crié « Les Anglais se réveillent » et « It’s gonna be fucking payback ».
Le technicien Denis Blanchette venait de tomber sous ses balles. Depuis cinq ans, son collègue Dave Courage, grièvement blessé, vit avec de lourdes séquelles. Idem pour quatre autres techniciens souffrant d’un choc post-traumatique. Que ces survivants aient encore à se battre pour être indemnisés correctement est une honte.
L’an dernier, Bain a été condamné à la prison à vie sans libération conditionnelle avant 20 ans. Pour le juge de la Cour supérieure Guy Cournoyer, le « principal facteur aggravant dans ce cas-ci est la nature politique du crime, qui est une attaque contre notre processus démocratique ».
CRIME POLITIQUE
Un crime politique, certes. Surtout, un attentat terroriste avorté par son arme qui s’est miraculeusement enrayée. Comme si ce crime était trop laid pour une société aussi tolérante, on l’a vite effacé de nos mémoires. Le crime de Bain exposait pourtant sa haine profonde pour une des deux grandes « familles » politiques du Québec moderne.
En visant des musulmans en pleine prière, l’attentat sanglant au Centre culturel islamique de Québec pour lequel a été accusé Alexandre Bissonnette aurait tenu de la même recette infecte : haine, fanatisme et désir de tuer un « ennemi » fantasmé au point de passer à l’acte.
Ces deux tueries ont aussi en commun d’être l’oeuvre d’esprits dérangés, mais non moins nourris par des rhétoriques délirantes que l’on nomme trop rarement.
TOXIQUE
Le jeune Bissonnette se serait inspiré d’une extrême droite décomplexée à la sauce trumpienne. Le fanatisme de Bain se faisait l’écho haineux et violent d’un discours pacifique d’autovictimisation véhiculé depuis des décennies par des leaders politiques et médiatiques de la minorité anglo-québécoise.
C’est pourquoi, en évitant clairement toute forme de culpabilité par association, ces tueries nous interpellent comme société. Pour rependre l’analyse du philosophe Éric-Emmanuel Schmitt à l’émission Second Regard : « Le terrorisme est une maladie de la pensée. La violence, c’est le refus d’avoir des nuances. […] La violence, c’est la volonté d’avoir raison à tout prix. Y compris contre le réel puisqu’on s’en prend au réel pour le tuer. »
Or, quand est-ce que la haine devient fanatisme et, dans les cas extrêmes, bascule même dans la violence politique ou physique ? Cette question, plusieurs nations paisibles comme le Québec, néanmoins victimes de crimes haineux, se la posent.
Les mots, on le sait, peuvent être apaisants ou toxiques. Tuerie ou pas, représenter ad nauseam les souverainistes comme des xénophobes ataviques est fallacieux et toxique pour notre vivre-ensemble. Que cela vienne de médias anglophones ou de Philippe Couillard lui-même.
Tuerie ou pas, associer les personnes de confession musulmane à la violence djihadiste est tout aussi fallacieux et toxique. Point.