Le Journal de Montreal

« Je n’entends pas toujours bien, mais je sais écouter »

La mairesse de Longueuil, Caroline St-Hilaire, quitte la vie politique en révélant sa surdité dans un livre à paraître

- Matthieu Payen @MPayenJDM l∫ Le livre sur Caroline St-Hilaire, de Geneviève Lefebvre paraîtra mercredi aux éditions Libre Expression.

Caroline St-Hilaire est sourde. Dans une première entrevue sur le sujet, qu’elle a accordée au Journal, la mairesse de Longueuil explique comment elle a su surmonter son handicap. Vous avez seulement 47 ans, pourquoi avoir choisi de faire paraître la biographie Se faire entendre sur vous ?

Je cherchais une façon de souligner mes 20 ans de vie politique. Comme en plus je quitte la politique, je voulais laisser une trace. Mais ce livre n’est pas une biographie, ce sont plutôt des tranches de vie. Je reste humble. J’ai quelques réalisatio­ns à mon actif, mais je n’ai pas non plus inventé le bouton à quatre trous.

Pourquoi ne vous représente­z-vous pas aux prochaines élections ?

J’avais dit dès le départ que je ne ferais que deux mandats. J’ai failli changer d’idée, j’avais même dit à mon équipe que j’y allais pour un troisième parce que ça allait bien. Mais quatre ans de plus, je trouve ça long. Je ne suis pas fatiguée, mais je sens que j’ai fait le tour du jardin. Je trouvais aussi que la liberté de parole me manquait.

On apprend dans le livre que vous êtes sourde. Est-ce la première fois que vous en parlez publiqueme­nt ?

Pas exactement, lorsque j’étais députée fédérale [au Bloc québécois], je faisais des déclaratio­ns en langage des signes chaque mois de mai pour souligner le mois de l’ouïe. À l’époque, j’étais sourde d’une seule oreille. C’est en 2007 que je suis devenue sourde des deux oreilles. C’est vrai que je n’en ai pas beaucoup parlé. J’ai longtemps pensé que c’était une faiblesse en politique, alors je faisais semblant d’entendre ce qu’on me disait.

Aujourd’hui, vous entendez ce qu’on vous dit, comment est-ce possible ?

Grâce à des appareils auditifs. Quand j’étais enfant, je faisais des otites internes à répétition de l’oreille gauche. Je ne savais pas ce que c’était jusqu’à ce que mon tympan se perfore. J’entendais moins bien, mais mon oreille droite fonctionna­it et je lisais sur les lèvres. Malheureus­ement, j’ai eu ensuite une petite tumeur à l’oreille droite. Maintenant, plus personne ne veut traiter mes oreilles parce que si l’oreille interne est touchée, je pourrais ne plus pouvoir utiliser mes prothèses auditives. De toute façon, j’ai subi une trentaine d’opérations, c’est assez.

Ce handicap vous a-t-il freiné dans votre vie ?

Non, mais j’ai dû arrêter le patinage artistique quand j’étais jeune. J’adorais ça, je me levais tous les matins à 5 h pour m’exercer. Le problème c’est que, sur la glace, je n’entendais plus la musique. Quand vous êtes dans un groupe de précision et que le reste de la gang est rendu sans vous à l’autre bout de la glace, c’est qu’il est temps d’arrêter.

Et aujourd’hui, est-ce que ça vous gêne ?

Parfois, en réunion, je dois travailler plus fort parce que je ne veux pas demander de parler plus fort. Et puis, au restaurant ou dans des cocktails, j’entends tous les bruits, alors je ne me sens pas bien. Aussi, j’adore aller voir l’Orchestre symphoniqu­e de Longueuil, mais j’ai du mal à entendre certains instrument­s.

Comment faire quand on doit être à l’écoute des citoyens et qu’on n’entend pas tout ?

Moi, je n’entends pas toujours bien, mais je sais écouter. Le non verbal est parfois plus important. J’ai une intuition assez forte. Avant même que quelqu’un me parle, souvent je suis capable de savoir ce qu’on veut me dire.

Est-ce que ça a toujours été aussi simple pour vous à accepter ?

Au début, ça a été compliqué. J’en ai pleuré. Mais aujourd’hui, ça fait partie de mon charme. Et il y a des avantages. Quand les enfants font du bruit à la maison, j’enlève mes appareils. Quand quelqu’un me tape sur les nerfs, je baisse le son. Je dois vivre avec des inconforts et avec l’idée que j’ai une faille, mais je suis réconcilié­e avec ça. Ce qui serait atroce, ce serait de perdre complèteme­nt l’ouïe.

Outre votre surdité, vous abordez dans le livre de nombreux pans de votre vie privée : vos conjoints, vos enfants, vos tenues vestimenta­ires, vos cheveux. Est-ce indissocia­ble de votre vie politique ?

On fait de la politique selon qui on est, selon nos valeurs, notre éducation. Les détails que je donne sont révélateur­s de ma façon d’agir en politique. Ils

« JE DOIS VIVRE AVEC DES INCONFORTS ET AVEC L’IDÉE QUE J’AI UNE FAILLE, MAIS JE SUIS RÉCONCILIÉ­E AVEC ÇA » – Caroline St-Hilaire

montrent aussi mon cheminemen­t : je n’étais pas féministe, je le suis devenue ; je tenais des propos envers les autres un peu trop cinglants, j’ai appris à me contrôler. Je montre qu’on peut faire de la politique en ayant de bonnes valeurs. Quand on voit un Gilles Vaillancou­rt, on se dit que les politicien­s sont tous comme ça, mais c’est faux.

La conciliati­on famille-travail est souvent un défi. Comment vous en êtes-vous sortie en tant que politicien­ne ?

Le plus important, c’est l’entourage. Quand on se lance en politique, il faut s’assurer que les gens qui t’entourent sont dans le coup. Le père de mes enfants était très présent et je lui en suis très reconnaiss­ante. Mais il est aussi nécessaire d’impliquer ses proches parce que, sinon, les chemins se séparent. D’ailleurs, en débutant, on m’avait dit qu’un couple sur deux rompt en politique. Au fédéral et provincial, on est absent quatre, cinq jours par semaine, c’est difficile.

Pour vos enfants, ça ne doit pas être simple non plus ?

Mes enfants, c’est quand ils me voient trop souvent qu’ils sont tannés. Ils n’en peuvent plus que je leur fasse manger du quinoa ou des graines de lin. Là, ils étaient contents que l’été se termine.

Aujourd’hui, vous partagez votre vie avec Maka Kotto [député péquiste de Bourget]. Quelle est l’importance de cette rencontre ?

C’est assurément l’une des rencontres, sinon la rencontre la plus importante dans ma vie. En tant que femme, humaine, citoyenne et politicien­ne, il m’apporte énormément. Il a un tel niveau de langage, une telle intelligen­ce, et pourtant il ne me fait jamais sentir bête. On pourrait croire que cet homme-là n’a pas besoin de moi, mais je suis convaincue que je l’aide politiquem­ent. Je lui fais remarquer quand je ne comprends pas ce qu’il dit et que c’est possible que d’autres ne comprennen­t pas.

Être une femme en politique, estce que c’est toujours un défi en 2017 ?

Oui. Quand tu sollicites un homme à s’engager, ça prend cinq minutes et il signe en bas de la feuille. Avec une femme, c’est plus difficile. Elle doute d’elle, elle se demande si son conjoint et ses enfants vont être d’accord. Il y a aussi la population et les médias qui pardonnent moins l’erreur aux femmes. On n’a toujours pas atteint la parité, donc il reste du travail à faire.

Aux prochaines élections à Longueuil, trois femmes se présentent pour vous succéder. Pensez-vous avoir suscité des vocations ?

Oui, trois femmes candidates, c’est la bonne nouvelle. Et j’espère que le nombre de candidates va augmenter partout au Québec. Je me dis que peutêtre, avec la sortie du livre, certaines vont se décider. Quand on fait du municipal, on rentre chez soi tous les soirs, les femmes devraient prendre d’assaut ces responsabi­lités.

De votre côté, on vous verra bientôt comme commentatr­ice politique sur LCN. Avez-vous hâte ?

Oui, je commence par la soirée électorale du 5 novembre. Et ensuite, j’embarque sur la glace à l’émission La Joute. Je vais pouvoir dire ce que je veux, quand je veux, à qui je veux. J’ai très hâte !

Vous dites dans le livre que vous vous sentiez comme une petite fille en arrivant à Ottawa et à l’hôtel de ville de Longueuil. Est-ce le cas cette fois-ci encore ?

Non, je ne suis plus une petite fille. Ce coup-ci, je suis consciente de ce dans quoi je m’embarque. Mais je sais qu’il faut que je me prépare, notamment à la critique. Mon fils a bien résumé ça, il m’a dit : « Maman, ça fait 20 ans que tu fais de la politique, maintenant il va falloir que tu la comprennes. »

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PHOTO AGENCE QMI, SÉBASTIEN ST-JEAN Caroline St-Hilaire quittera en novembre ses fonctions de mairesse de Longueuil pour devenir commentatr­ice politique à LCN.

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