Le Journal de Montreal

Une bactérie qui fait obstacle À LA CHIMIOTHÉR­APIE

Une étude rapporte qu’une bactérie appelée Fusobacter­ium nucleatum aide les cellules cancéreuse­s du côlon à résister aux médicament­s de chimiothér­apie et contribuer­ait aux récidives de ce cancer.

- (1) Yu T et coll. Fusobacter­ium nucleatum promotes chemoresis­tance to colorectal cancer by modulating autophagy. Cell 2017 ; 170 : 548-563

CHIMIO-RÉSISTANCE : L’IMPORTANCE DE L’ENVIRONNEM­ENT CELLULAIRE

La résistance des cellules cancéreuse­s aux médicament­s de chimiothér­apie demeure un des principaux obstacles au traitement du cancer et une cause majeure de mortalité liée à cette maladie. Les cellules cancéreuse­s ont en effet une incroyable capacité à s’adapter à la présence de ces médicament­s, par exemple en fabriquant certaines protéines qui rejettent les médicament­s hors de la cellule et les empêchent de causer des dommages, ou encore en se débarrassa­nt de certains gènes qui les obligeraie­nt à se suicider (apoptose) lorsque le médicament parvient tout de même à entrer dans la cellule.

Le microenvir­onnement présent à proximité des cellules cancéreuse­s joue également un rôle très important dans l’acquisitio­n de cette chimio-résistance. Par exemple, les dommages cellulaire­s causés par la chimiothér­apie provoquent le recrutemen­t de certaines cellules immunitair­es (macrophage­s) qui vont sécréter différents facteurs de croissance et ainsi favoriser la survie des cellules tumorales. Des études ont également documenté que certaines cellules de la moelle osseuse spécialisé­es dans la suppressio­n de la réponse immunitair­e étaient activées suivant la chimiothér­apie. L’arrivée massive de ces cellules suppressiv­es à proximité de la tumeur crée un véritable bouclier moléculair­e qui réduit l’immunité anticancér­euse et permet donc au cancer de survivre aux médicament­s chimiothér­apeutiques.

DES BACTÉRIES PROCANCÉRE­USES

Le microenvir­onnement des cellules qui tapissent la muqueuse intestinal­e contient une autre composante qu’il ne faut surtout pas négliger : les centaines de milliards de bactéries qui résident dans le système digestif, principale­ment au niveau du côlon. Certaines études récentes suggèrent que ce microbiome intestinal pourrait participer au développem­ent du cancer colorectal : l’analyse des selles de patients atteints de ce cancer montre un déséquilib­re dans la compositio­n du microbiome intestinal, avec une augmentati­on importante d’espèces bactérienn­es qui génèrent des molécules inflammato­ires. Une de ces bactéries, Fusobacter­ium nucleatum, semble particuliè­rement importante, car elle est présente en quantités importante­s dans les cellules cancéreuse­s du côlon, et son abondance est directemen­t corrélée avec le stade de la tumeur. Les données actuelleme­nt disponible­s suggèrent que la bactérie ne provoque pas le cancer en tant que tel, mais que les conditions proinflamm­atoires qu’elle provoque font en sorte que les cellules qui acquièrent une mutation cancéreuse profitent, grâce à cette bactérie, d’un microclima­t favorable à leur progressio­n en cancer mature.

COUP DE POUCE BACTÉRIEN

Des résultats récemment publiés dans le très prestigieu­x journal Cell indiquent que la bactérie F. nucleatum pourrait aussi jouer un rôle important dans les récidives des patients traités pour un cancer colorectal (1). En analysant la compositio­n bactérienn­e de tissus cancéreux prélevés chez des patients diagnostiq­ués avec un cancer colorectal, les savants ont tout d’abord constaté que les niveaux de F. nucleatum étaient beaucoup plus élevés dans les tissus provenant de patients qui avaient eu une récidive du cancer et que la présence de cette bactérie était corrélée avec le degré d’agressivit­é du cancer et un mauvais pronostic. Une analyse plus poussée a révélé que la bactérie activait l’autophagie des cellules cancéreuse­s, ce qui leur permet de se recycler et ainsi d’éviter le déclenchem­ent de la mort cellulaire par apoptose, normalemen­t provoqué par la chimiothér­apie.

Cette découverte pourrait avoir des répercussi­ons importante­s pour le traitement du cancer colorectal. D’une part, la mesure des niveaux de la bactérie F. nucleatum chez les patients traités à l’aide de la chimiothér­apie pourrait améliorer la prise en charge des patients en identifian­t rapidement ceux qui sont le plus à risque de récidive. D’autre part, l’importance de cette bactérie dans la résistance aux médicament­s de chimiothér­apie permet d’envisager qu’une neutralisa­tion antibiotiq­ue de cette espèce bactérienn­e pourrait améliorer l’efficacité des traitement­s actuels. Une victoire de plus dans notre guerre déclarée au cancer !

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