Le Journal de Montreal

Des torches et des fourches

- RICHARD MARTINEAU richard.martineau@quebecorme­dia.com

Vous souvenez-vous des vieux films de Frankenste­in qui passaient le vendredi à minuit au canal 10 ?

Quelle que fût la version diffusée (une version en noir et blanc avec Boris Karloff ou une version en technicolo­r avec Peter Cushing), au milieu du film, on avait toujours droit à la même scène : des paysans hystérique­s vêtus comme les musiciens d’un orchestre bavarois partaient à la recherche du monstre en brandissan­t des torches et des fourches.

Eh bien, ces paysans, c’est nous.

Et le monstre, c’est n’importe quel individu pris dans une controvers­e.

LA CHASSE À L’HOMME

C’est toujours la même chose.

Quelqu’un dit que quelqu’un aurait commis un acte répréhensi­ble.

Peut-être une agression. Peut-être un viol. Peut-être du harcèlemen­t psychologi­que. Peut-être une fraude. Peut-être une tentative de soudoiemen­t, qui sait ?

Ça ne fait pas deux minutes que la nouvelle circule sur internet que les paysans empoignent leur fourche, allument leur torche et se rassemblen­t sur la place publique du village en criant.

« On veut une Commission ! », dit l’un.

« On veut une démission ! », hurle l’autre.

Tout de suite, c’est le branle-bas de combat.

On lâche les chiens, on fouille les sous-bois, on met le feu à la moindre cabane que l’on trouve sur son chemin…

Le docteur Frankenste­in a beau supplier d’attendre, dire à la plèbe en délire que la bête n’est peut-être pas aussi maline qu’on le croit, rien n’y fait : la meute est partie, et n’arrêtera pas tant qu’elle n’aura pas décapité le monstre.

LA TERREUR

Actuelleme­nt, le monstre, c’est Jean-Marc Fournier.

Avant, c’était Sam Hamad, Jian Ghomeshi ou Gerry Sklavounos.

Il fut un temps où l’on attendait que des accusation­s soient portées et qu’un verdict soit prononcé pour envoyer un individu au bûcher.

Aujourd’hui, il suffit d’une simple allégation pour qu’on te mette la corde au cou et qu’on ouvre la trappe. On est à l’ère de #ontecroit. Plus besoin d’avoir de preuves pour condamner un citoyen : quelqu’un a dit que quelqu’un lui a dit que… ? C’est assez. De toute façon, quand on est du côté du Bien, les faits sont superfétat­oires. Pourquoi s’embarrasse­r de la vérité quand on incarne la Vérité ?

Allez, hop ! sortez le suspect de la charrette qu’on lui tranche la tête.

Nous sommes à l’ère de la transparen­ce, après tout. On veut du pur, du clair, du propre, du beau, du bien astiqué et du bien frotté.

Un soupçon jette de l’ombre sur ta cage de verre ? Vite, au poteau !

On ne fait pas d’omelette sans casser des oeufs. Faut ce qu’il faut pour épurer le système.

Qu’importe si on brise des assiettes dans le processus, l’important est de laver le plus de vaisselle possible.

LA GRANDE NOIRCEUR

Plus on avance, plus on recule. On cesse de vacciner les enfants. On soigne des cancers avec du jus. On enseigne la religion à l’école. On interdit les débats d’idées dans les université­s. On enferme les communauté­s culturelle­s dans des ghettos idéologiqu­es. On condamne des individus sans faire de procès. Et on appelle ça le progrès ? Wow. J’appelle plutôt ça le retour de la grande noirceur.

La haine de la science et le mépris des institutio­ns.

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Boris Karloff dans le film Frankenste­in (1931) Plus besoin de preuves pour condamner le monstre...
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