Des torches et des fourches
Vous souvenez-vous des vieux films de Frankenstein qui passaient le vendredi à minuit au canal 10 ?
Quelle que fût la version diffusée (une version en noir et blanc avec Boris Karloff ou une version en technicolor avec Peter Cushing), au milieu du film, on avait toujours droit à la même scène : des paysans hystériques vêtus comme les musiciens d’un orchestre bavarois partaient à la recherche du monstre en brandissant des torches et des fourches.
Eh bien, ces paysans, c’est nous.
Et le monstre, c’est n’importe quel individu pris dans une controverse.
LA CHASSE À L’HOMME
C’est toujours la même chose.
Quelqu’un dit que quelqu’un aurait commis un acte répréhensible.
Peut-être une agression. Peut-être un viol. Peut-être du harcèlement psychologique. Peut-être une fraude. Peut-être une tentative de soudoiement, qui sait ?
Ça ne fait pas deux minutes que la nouvelle circule sur internet que les paysans empoignent leur fourche, allument leur torche et se rassemblent sur la place publique du village en criant.
« On veut une Commission ! », dit l’un.
« On veut une démission ! », hurle l’autre.
Tout de suite, c’est le branle-bas de combat.
On lâche les chiens, on fouille les sous-bois, on met le feu à la moindre cabane que l’on trouve sur son chemin…
Le docteur Frankenstein a beau supplier d’attendre, dire à la plèbe en délire que la bête n’est peut-être pas aussi maline qu’on le croit, rien n’y fait : la meute est partie, et n’arrêtera pas tant qu’elle n’aura pas décapité le monstre.
LA TERREUR
Actuellement, le monstre, c’est Jean-Marc Fournier.
Avant, c’était Sam Hamad, Jian Ghomeshi ou Gerry Sklavounos.
Il fut un temps où l’on attendait que des accusations soient portées et qu’un verdict soit prononcé pour envoyer un individu au bûcher.
Aujourd’hui, il suffit d’une simple allégation pour qu’on te mette la corde au cou et qu’on ouvre la trappe. On est à l’ère de #ontecroit. Plus besoin d’avoir de preuves pour condamner un citoyen : quelqu’un a dit que quelqu’un lui a dit que… ? C’est assez. De toute façon, quand on est du côté du Bien, les faits sont superfétatoires. Pourquoi s’embarrasser de la vérité quand on incarne la Vérité ?
Allez, hop ! sortez le suspect de la charrette qu’on lui tranche la tête.
Nous sommes à l’ère de la transparence, après tout. On veut du pur, du clair, du propre, du beau, du bien astiqué et du bien frotté.
Un soupçon jette de l’ombre sur ta cage de verre ? Vite, au poteau !
On ne fait pas d’omelette sans casser des oeufs. Faut ce qu’il faut pour épurer le système.
Qu’importe si on brise des assiettes dans le processus, l’important est de laver le plus de vaisselle possible.
LA GRANDE NOIRCEUR
Plus on avance, plus on recule. On cesse de vacciner les enfants. On soigne des cancers avec du jus. On enseigne la religion à l’école. On interdit les débats d’idées dans les universités. On enferme les communautés culturelles dans des ghettos idéologiques. On condamne des individus sans faire de procès. Et on appelle ça le progrès ? Wow. J’appelle plutôt ça le retour de la grande noirceur.
La haine de la science et le mépris des institutions.