Tension extrême en Espagne
« JE N’EXCLUS PAS DES CHOSES PIRES ENCORE DANS LES PROCHAINS JOURS. MADRID VEUT STOPPER COÛTE QUE COÛTE LE RÉFÉRENDUM ET SEMBLE PRÊT À EN PAYER LE PRIX. » - le professeur espagnol Ferran Requejo
Je fais mes valises pour aller couvrir la gravissime crise politique qui secoue l’Espagne. Je ferai la navette entre Barcelone et Madrid.
L’épicentre de la crise est en Catalogne, mais c’est tout le système politique espagnol qui est ébranlé comme jamais.
Face au terrorisme basque de jadis, toute l’Espagne faisait front commun. Cette fois, c’est un mouvement populaire et pacifique qui dévoile la rigidité des institutions espagnoles.
Le gouvernement catalan veut tenir un référendum sur la souveraineté de la Catalogne le 1er octobre. Le gouvernement central de Madrid refuse.
L’initiative vient de changer de camp. C’est maintenant Madrid qui agit et Barcelone qui réagit.
RIPOSTE
On a longtemps joué au chat et à la souris. Les autorités espagnoles forçaient la fermeture d’un site web du gouvernement catalan sur le référendum, et celui-ci en ouvrait un autre, cinq minutes plus tard.
Madrid a finalement sorti son arsenal judiciaire et policier, et a frappé terriblement fort.
La police espagnole a saisi les bulletins de vote et le matériel publicitaire. On menace de sanctions les plus de 700 maires qui se disent prêts à participer à l’organisation du référendum.
On menace tous les fonctionnaires qui pourraient prêter assistance. On a gelé les transferts financiers au gouvernement catalan.
Puis, coup de massue, la police espagnole a emprisonné 14 hauts dirigeants du gouvernement catalan responsables de l’organisation du référendum.
Le professeur Ferran Requejo, de l’Université Pompeu Fabra de Barcelone, me dit : « Je n’exclus pas des choses pires encore dans les prochains jours. Madrid veut stopper coûte que coûte le référendum et semble prêt à en payer le prix. »
Mais le gouvernement catalan persiste et signe.
POINTS DE VUE
Depuis des années, le mécontentement des Catalans monte. Mais Madrid n’a pas montré d’ouverture à des négociations fiscales ou constitutionnelles.
Pourtant, comme il n’y a jamais eu de nette majorité souverainiste en Catalogne, une dévolution de pouvoirs aurait peut-être pu satisfaire une large majorité de Catalans, qui ont longtemps été beaucoup plus « catalanistes » que souverainistes.
Devant ce blocage, Barcelone, dont le gouvernement est issu d’une coalition souverainiste faiblement majoritaire au Parlement catalan, a choisi de foncer.
Que va-t-il se passer ? Beaucoup de gens se disent certains de ceci ou de cela, mais c’est pour la galerie. L’incertitude est totale.
Devant une crise politique, il faut une solution politique. On ne la voit pas pour le moment.
« Le mot le plus courant ces joursci est “dialogue”. Mais je suis très sceptique. Madrid a dit non à tout », dit Ferran Requejo.
Les sociétés civiles espagnole et catalane sont sous haute tension. On entend de tout.
Hors de Catalogne, il y en a qui réclament la manière forte, c’est-à-dire, carrément, l’intervention de l’armée. Des milliers de policiers, de partout en Espagne, sont arrivés pour prêter main-forte aux forces locales.
À Madrid, le gouvernement Rajoy a cependant besoin de l’appui parlementaire d’autres formations politiques. Celles-ci le préviennent que, s’il dépasse les bornes, si du sang est versé, il sera lâché.
L’unité nationale, oui, mais pas à n’importe quel prix.
En Catalogne, on trouve aussi de tout. Vous avez des modérés qui ont été radicalisés par l’attitude de Madrid. Mais beaucoup de nationalistes déplorent la précipitation du gouvernement souverainiste.
D’autres veulent rester Espagnols et Catalans et ne voient pas pourquoi on les oblige à choisir.
Il y en a aussi qui voient dans tout cela un immense gâchis et renvoient dos à dos les deux camps.
DÉRAPAGES ?
Il se peut fort bien qu’il n’y ait pas du tout de référendum. Madrid gagnera du temps, mais la situation pourrira.
Si on réussit à installer des urnes partout ou presque, la colère pourrait produire un taux de participation appréciable.
Si des élus locaux refusent de participer à l’organisation, si les partisans du non boycottent le scrutin, le taux de participation serait trop bas pour être concluant.
« Le scénario le plus probable est qu’il n’y ait pas de référendum, car le gouvernement central a répété qu’il ne le permettrait pas. Il serait critiqué par ses propres partisans s’il reculait maintenant », explique Ferran Requejo.
Est-ce que cela pourrait déraper et donner lieu à de la violence ?
« Le nationalisme catalan a toujours été pacifique. Il n’y a jamais eu le moindre incident violent. Même pas une poubelle incendiée. Mais devant l’escalade initiée par Madrid, on ne peut plus rien exclure », conclut le professeur Requejo.