Le Journal de Montreal

Un fait divers frappant

Avec ce brillant premier roman, l’Américain Nathan Hill signe l’une des histoires les plus riches de la rentrée.

- KARINE VILDER

Lorsqu’il n’était encore qu’un gamin, Nathan Hill passait l’essentiel de ses moments de loisir à lire ou à rédiger toutes sortes d’histoires pour divertir les enfants de Cedar Rapids, la petite ville du Midwest où il a grandi. Autrement dit, il a très tôt voulu devenir écrivain… au grand dam de ses parents !

« Dans ma famille, j’ai été le seul à me rendre jusqu’à l’université et pour mes parents, il était impensable que je gaspille cette chance en m’inscrivant en littératur­e, explique l’auteur des Fantômes du vieux pays, un pavé de 700 pages qui s’inscrit déjà en lettres indélébile­s dans la liste des meilleurs romans de la rentrée. Ils tenaient à ce que je gagne bien ma vie en exerçant un “bon métier” et, de ce fait, ils ont fini par me convaincre d’aller en science. Pendant deux ans, j’ai donc étudié l’ingénierie biomédical­e… tout en suivant en parallèle quelques cours d’écriture, l’université de l’Iowa offrant un excellent programme de création littéraire. Mais en fin de compte, je me suis mis à suivre tellement de cours supplément­aires d’écriture qu’un de mes profs de science n’ont pu s’empêcher de me suggérer de changer d’orientatio­n ! »

En 2004, Nathan Hill entamera ainsi la rédaction d’un premier roman qui, 13 ans plus tard, sera traduit dans une trentaine de langues en attendant d’être adapté au petit écran par le célèbre scénariste, producteur et réalisateu­r J. J. Abrams, avec Meryl Streep au générique.

UNE ÉTRANGE REVENANTE

Les fantômes du vieux pays s’ouvre sur un fait divers plutôt frappant : alors qu’il traversait un parc de Chicago sous la supervisio­n de toute son équipe, le gouverneur ultraconse­rvateur Sheldon Packer, candidat potentiel à la présidence des États-Unis, a été agressé en plein jour. Pas par un drogué ou un malade, mais par une frêle sexagénair­e enseignant au primaire qui, en lui envoyant plusieurs poignées de gravier au visage, parviendra à le blesser à un oeil.

Très vite surnommée Calamity Packer par l’ensemble des médias, la vieille dame sera donc jetée en prison pendant que les journalist­es chargés de fouiller son passé auront l’immense plaisir de découvrir qu’en plus d’avoir déjà été une hippie extrémiste, elle a aussi tâté de la prostituti­on. Une affaire qui fera le tour du pays en un temps record… sans que son propre fils en sache rien.

Samuel Anderson, professeur de littératur­e anglaise dans une petite université de Chicago, a en effet depuis longtemps cessé d’écouter les nouvelles. Sitôt ses cours terminés, il préfère tuer orques et dragons jusqu’aux petites heures du matin, Le Monde d’Elfscape étant mille fois plus trépidant et gratifiant que le sien. « Lorsque je suis arrivé à New York, en 2004, des voleurs ont défoncé ma voiture et emporté absolument tout ce que je possédais (mes vêtements, mes livres, l’ordi sur lequel j’avais sauvegardé trois ans d’écriture, etc.), précise Nathan Hill. C’est là qu’un ami habitant San Francisco m’a proposé de jouer avec lui à World of Warcraft. Comme j’étais un brin déprimé, il voulait avoir un oeil sur moi et, au cours des quatre années suivantes, j’y ai joué de 30 à 40 heures par semaine. Pour moi, ça a été une sorte de thérapie : à une période où rien n’allait et où je n’avais encore rien publié, j’étais au moins bon — même très bon ! — dans quelque chose, et c’est ce qui m’a aidé à tenir le coup. »

Une expérience qu’il a transposée dans son roman, Samuel Anderson ayant lui aussi plusieurs raisons d’exceller dans les jeux vidéo : en plus d’avoir récemment été plaqué par sa femme, il n’a toujours pas réussi à trouver le sujet du roman que son éditeur attend depuis 10 ans…

LE SPECTRE DE TRUMP

Boudant les plans soigneusem­ent établis d’avance pour accorder plus de place à l’improvisat­ion et aux retourneme­nts de situation, Nathan Hill passera ainsi près d’une décennie à décrire les déboires de Samuel, dont l’enfance a été profondéme­nt entachée par le départ de sa mère. En 1988, alors qu’il parvenait encore très mal à maîtriser ses innombrabl­es accès de larmes, Faye Andreson-Anderson — alias Calamity Packer ! — l’a abandonné à son triste sort en désertant le foyer familial sans laisser le moindre mot d’explicatio­n. Et si elle n’avait pas fait la manchette des journaux 20 ans plus tard, Samuel n’aurait probableme­nt jamais eu la chance de lui reparler. Car son fameux sujet de roman, il le tient enfin : raconter l’histoire de son étrange mère.

Un passionnan­t récit bourré d’humour qui raconte surtout la dérive des ÉtatsUnis d’aujourd’hui, Donald Trump pouvant facilement se substituer au gouverneur Packer !

LES FANTÔMES DU VIEUX PAYS Nathan Hill Éditions Gallimard 720 pages

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