Rajeunir ?
Le « jeunisme » m’a toujours agacé. Même quand j’étais jeune.
Par jeunisme, j’entends cette idéologie diffuse idéalisant la jeunesse, la portant aux nues.
Ce qu’on lit et entend sur le remaniement du gouvernement Couillard qui viendra sans doute mardi ou plus tard cette semaine est teinté de jeunisme.
Il serait urgent, lit-on, d’amener du « sang neuf » au cabinet.
Le gouvernement Couillard – scandale ! – compterait 35 % de ministres âgés de 60 ans et plus, selon un calcul effectué par La Presse canadienne.
Je comprends que plusieurs de ces « vieux » rappellent l’ère Charest et donnent une impression d’usure qui nuit à l’image du gouvernement.
PARADOXAL
Mais il semble clair qu’on veuille aussi flatter, ici, le jeunisme ambiant. Lequel a d’ailleurs quelque chose de paradoxal : on dirait que plus la société « vieillit », plus le jeunisme se renforce.
Comme si la nouvelle masse de la population désirait voir des jeunes partout afin de se rappeler son jeune temps.
En politique, on fait souvent l’erreur de croire que, pour attirer l’électeur, il faut lui présenter des candidats qui lui sont similaires.
Vous voulez stimuler le vote des femmes ? Présentez une femme. Vous voulez stimuler le vote des jeunes ? Présentez un jeune.
C’est loin d’être une recette infaillible. On n’appuie pas toujours des gens qui nous ressemblent.
André Boisclair a connu son échec électoral à une époque où Jacques Parizeau remplissait les salles de cégep et d’université.
Bien sûr, Parizeau n’était plus en politique active. Mais sa verdeur, sa franchise, cette manière de parler qui n’avait rien de « jeune » (selon les clichés d’usage), avaient un succès fou auprès des jeunes.
Au sud de la frontière, le succès de Bernie Sanders chez les Américains dans la vingtaine a sans doute des racines apparentées.
Chez certains vieux, il y a souvent plus de dynamisme et de nouveauté que chez les représentants jeunes officiels s’employant à parler et à faire « jeune ».
VISION RÉDUCTRICE
On me rétorquera que, dans une ère marquée par les « mises à jour » constantes et permanentes, les jeunes sont les mieux adaptés. Une bonne dose de jeunisme serait nécessaire.
Les vieux ? Dépassés rapidement. On me donnera l’exemple de feu Jacques Daoust, se mêlant à l’Assemblée nationale en parlant du logiciel Word.
Dans un essai publié en 1996 intitulé Playing the Future (Harper Collins), l’Américain Douglas Rushkoff prédisait qu’à l’ère de l’internet, ce ne seraient plus les anciennes générations qui présenteraient et expliqueraient le monde aux plus jeunes. On inverserait les rôles.
« Qui programme le vidéo ? » illustrait-il. Aujourd’hui, on ajouterait : qui montre à qui comment utiliser un ordinateur, les applications d’un téléphone, une tablette, l’internet ? Les vieux ont besoin des jeunes !
S’il y a du vrai dans cette thèse « jeuniste », je crois qu’elle réduit excessivement le monde aux outils technologiques.
L’expérience, les anciens savoirs, les grandes oeuvres, y ont encore une importance cruciale. Notre univers est bien plus que la somme des bebelles du moment.
Chez certains vieux, il y a souvent plus de nouveauté que chez les représentants jeunes officiels.