Le Journal de Montreal

Rajeunir ?

- ANTOINE ROBITAILLE antoine.robitaille@quebecorme­dia.com

Le « jeunisme » m’a toujours agacé. Même quand j’étais jeune.

Par jeunisme, j’entends cette idéologie diffuse idéalisant la jeunesse, la portant aux nues.

Ce qu’on lit et entend sur le remaniemen­t du gouverneme­nt Couillard qui viendra sans doute mardi ou plus tard cette semaine est teinté de jeunisme.

Il serait urgent, lit-on, d’amener du « sang neuf » au cabinet.

Le gouverneme­nt Couillard – scandale ! – compterait 35 % de ministres âgés de 60 ans et plus, selon un calcul effectué par La Presse canadienne.

Je comprends que plusieurs de ces « vieux » rappellent l’ère Charest et donnent une impression d’usure qui nuit à l’image du gouverneme­nt.

PARADOXAL

Mais il semble clair qu’on veuille aussi flatter, ici, le jeunisme ambiant. Lequel a d’ailleurs quelque chose de paradoxal : on dirait que plus la société « vieillit », plus le jeunisme se renforce.

Comme si la nouvelle masse de la population désirait voir des jeunes partout afin de se rappeler son jeune temps.

En politique, on fait souvent l’erreur de croire que, pour attirer l’électeur, il faut lui présenter des candidats qui lui sont similaires.

Vous voulez stimuler le vote des femmes ? Présentez une femme. Vous voulez stimuler le vote des jeunes ? Présentez un jeune.

C’est loin d’être une recette infaillibl­e. On n’appuie pas toujours des gens qui nous ressemblen­t.

André Boisclair a connu son échec électoral à une époque où Jacques Parizeau remplissai­t les salles de cégep et d’université.

Bien sûr, Parizeau n’était plus en politique active. Mais sa verdeur, sa franchise, cette manière de parler qui n’avait rien de « jeune » (selon les clichés d’usage), avaient un succès fou auprès des jeunes.

Au sud de la frontière, le succès de Bernie Sanders chez les Américains dans la vingtaine a sans doute des racines apparentée­s.

Chez certains vieux, il y a souvent plus de dynamisme et de nouveauté que chez les représenta­nts jeunes officiels s’employant à parler et à faire « jeune ».

VISION RÉDUCTRICE

On me rétorquera que, dans une ère marquée par les « mises à jour » constantes et permanente­s, les jeunes sont les mieux adaptés. Une bonne dose de jeunisme serait nécessaire.

Les vieux ? Dépassés rapidement. On me donnera l’exemple de feu Jacques Daoust, se mêlant à l’Assemblée nationale en parlant du logiciel Word.

Dans un essai publié en 1996 intitulé Playing the Future (Harper Collins), l’Américain Douglas Rushkoff prédisait qu’à l’ère de l’internet, ce ne seraient plus les anciennes génération­s qui présentera­ient et expliquera­ient le monde aux plus jeunes. On inverserai­t les rôles.

« Qui programme le vidéo ? » illustrait-il. Aujourd’hui, on ajouterait : qui montre à qui comment utiliser un ordinateur, les applicatio­ns d’un téléphone, une tablette, l’internet ? Les vieux ont besoin des jeunes !

S’il y a du vrai dans cette thèse « jeuniste », je crois qu’elle réduit excessivem­ent le monde aux outils technologi­ques.

L’expérience, les anciens savoirs, les grandes oeuvres, y ont encore une importance cruciale. Notre univers est bien plus que la somme des bebelles du moment.

Chez certains vieux, il y a souvent plus de nouveauté que chez les représenta­nts jeunes officiels.

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Jacques Parizeau
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