L’après Couillard
Le soir de la défaite cinglante des libéraux dans Louis-Hébert, le regard perdu de Philippe Couillard en disait long sur l’ampleur du choc encaissé. Mercredi, la lecture de son discours après son remaniement ministériel raté semblait l’ennuyer lui-même.
Hier, en colère, il se fendait d’une tirade shakespearienne contre les médias qu’il juge trop critiques : « Vous voulez une livre de chair, un peu de sang sur la table ? […] Vous voulez avoir des drames humains, c’est ça qui vous excite un peu ? Vous voulez avoir de beaux articles là-dessus ? »
Quand un premier ministre blâme les médias pour ses propres erreurs de jugement, c’est que la bulle du pouvoir dans laquelle il flotte est dangereusement opaque. Peut-être ne voit-il pas non plus pourquoi quatre francophones sur cinq disent vouloir voter pour d’autres partis que le sien.
Si M. Couillard perdait les élections du 1er octobre 2018, parions que ses successeurs potentiels, dont Pierre Moreau, auront peu d’états d’âme quand viendra le temps de préparer la suite des choses.
Après presque 15 ans au gouvernement, l’usure du pouvoir rattrape certes les libéraux, mais la gouverne de M. Couillard y est aussi pour beaucoup. Il refuse d’en voir les effets délétères, également chez les plus vulnérables, mais ses trois ans d’austérité ont grandement affaibli les services publics.
GUÉGUERRES ENTÊTÉES
Selon le Conseil supérieur de l’éducation, notre système scolaire est aujourd’hui le plus inégalitaire au pays. En santé et services sociaux, son ministre Gaétan Barrette a carrément placé le système sous sa tutelle personnelle. Son autoritarisme centralisateur et la déshumanisation des soins qui en découlent sont un échec cuisant.
Et que dire de ses guéguerres entêtées contre toute critique, y compris contre le combat épique du personnel médical de Sainte-Justine, opposé à sa fusion forcée avec le CHUM ?
Sous le tandem Couillard-Barrette, les multiples augmentations de la rémunération des médecins sans résultats tangibles en échange sont un marché de dupes. Les deux hommes étant eux-mêmes médecins spécialistes, il s’en dégage un parfum gênant de conflit d’intérêts au détriment des autres postes budgétaires en santé et services sociaux.
L’ENSEMBLE DE L’OEUVRE
L’oeuvre de M. Couillard comprend aussi un fédéralisme plus inconditionnel que celui de Jean Charest. En matière d’éthique, il s’est montré incapable de se défaire des fantômes de son prédécesseur.
Sur les questions dites identitaires, les convictions du premier ministre rappellent étrangement celles de Pierre Elliott Trudeau. Par moments, on le sent presque honteux du Québec. Toujours prompt à voir de sombres relents d’intolérance et de repli sur soi, à l’instar de Trudeau père, il semble s’être donné la mission de protéger les Québécois contre eux-mêmes.
De fait, Philippe Couillard donne rarement l’impression d’aimer le Québec. On le voit d’ailleurs peu porté à en protéger le bien commun et sa différence nationale vitale au sein d’un bien beau pays, mais où il est de plus en plus minoritaire.
Talonnés par la CAQ, les libéraux réfléchissent-ils à l’après-Couillard ? Dans un tel contexte, ce serait déjà ça de pris.
La bulle du pouvoir dans laquelle le premier ministre flotte est dangereusement opaque.