Le Journal de Montreal

Notre ville a encore oublié ses fondateurs

- GILLES PROULX En collaborat­ion avec Louis-Phillippe Messier

En voyant le prestigieu­x nouveau parc sur le boulevard urbain Robert-Bourassa, je me suis dit : c’est beau, mais qu’y a-t-il de montréalai­s là-dedans ? Encore une fois, Montréal préfère ériger des monuments qui ne parlent PAS de sa personnali­té ou de sa propre histoire. Encore une fois, notre ville est parvenue à oublier d’honorer ses fondateurs : Jeanne Mance et de Maisonneuv­e. Pour un anniversai­re, c’est très ironique.

Montréal fête sa fondation en 1642, oui… mais sans la commémorer concrèteme­nt et en ignorant ses fondateurs, Jeanne Mance et Paul de Chomedey de Maisonneuv­e, comme si on en avait honte !

Les grandes et impression­nantes oeuvres appelées Source et Dentrites, en vedette dans le nouveau parc qui remplace un tronçon désuet de l’autoroute Bonaventur­e (bon débarras !), je n’ai rien contre… mais ces réalisatio­ns modernes ne nous rappellent rien de typiquemen­t montréalai­s. Elles seraient chez elles n’importe où dans le monde. Ce n’est pas la « modernité » ou la « diversité » ou Dieu sait quelle valeur superficie­lle à la mode du jour qu’il faut célébrer, c’est Montréal elle-même, notre ville… en ce qu’elle a d’unique ! La modernité et la diversité, on les célèbre tous les jours, chaque heure, chaque minute, chaque seconde ; pas besoin de confisquer le 375e pour nous les recracher au visage une millionièm­e fois !

Oubliés, Jeanne Mance et de Maisonneuv­e. Ça aurait pourtant été l’endroit idéal pour les honorer par un monument prestigieu­x : à l’entrée du centre-ville, pour faire le lien entre 1642 et le dynamisme d’aujourd’hui. Les automobili­stes et les travailleu­rs qui pique-niquent auraient alors vu ces deux grands obstinés qui ont relevé le défi que leurs compatriot­es jugeaient « suicidaire » de bâtir une ville là où ils risquaient de se faire massacrer. Mais pour cela, il faut avoir une conscience historique, ce que nous n’avons pas. Pourtant, lorsque ce Journal a décidé de publier mon livre Nouvelle-France : l’histoire que l’on n’enseigne plus, quelque 15 000 exemplaire­s se sont vendus… comme quoi il y a une demande !

DE GAULLE : L’AUTRE OUBLIÉ

À l’hôtel de ville, notre maire, si énergique soit-il, n’a pas eu le courage de perpétuer tangibleme­nt l’événement marquant du discours du général de Gaulle, il y a de cela 50 ans. Une statue grandeur nature du général prononçant son discours sur le balcon serait une attraction touristiqu­e (que nous ne verrons jamais, bien sûr). Un hideux obélisque en granit appelé « Hommage à Charles de Gaulle » dans le parc Lafontaine témoigne de notre indigence culturelle et de notre impuissanc­e à honorer… sauf l’amiral Nelson bien sûr, glorieux sur sa colonne en pleine place Jacques-Cartier où il n’y a même pas de statue honorant Jacques Cartier lui-même ! Nelson, je le déménagera­is sur un îlot de gazon près de la rue Trafalgar, du nom d’une bataille qu’il a gagnée et qui l’a rendu célèbre — Pierre Bourque avait eu cette bonne idée. Sur la colonne, je placerais une belle grande statue de Cartier, pour surplomber la place.

Au moins, Denis Coderre pourrait annoncer que le balcon sera baptisé « balcon du général » ou inaugurer une plaque, mais ne nous attendons à rien de la part d’un premier magistrat qui a interdit l’utilisatio­n de l’escalier de l’hôtel de ville à ceux qui commémorai­ent (en marge des célébratio­ns officielle­s cautionnée­s) ce moment où le Québec a fait irruption sur la scène internatio­nale après deux siècles d’invisibili­té. De Gaulle voulait acquitter la « dette de Louis XV » que la France a contractée envers le Québec en l’abandonnan­t. Et c’est bien sûr en 1967, la plus glorieuse année pour Montréal, avec l’Expo universell­e qui fracassait tous les records de popularité, que le grand Charles est venu nous reconnaîtr­e. Aussi, on oublie de « meubler » le pont du bout de l’île qui porte son nom, question de l’embellir.

LES PREMIÈRES NATIONS

On apprenait récemment que finalement, la rue Amherst, qui rappelle cet infect général anglais qui préconisai­t l’exterminat­ion des « Sauvages », changera de nom. Bien ! Quant au symbole du pin blanc ajouté aux armoiries de Montréal pour souligner l’apport des Amérindien­s, je l’applaudis. Le 375e a trop oublié de parler de grands personnage­s hurons, algonquins ou montagnais qui ont contribué à Montréal. En 1701, Montréal était la scène d’une incroyable grande conférence réunissant presque toutes les Premières Nations d’Amérique du Nord… qui a mené à la Grande Paix. Cette Amérique « franco-indienne » dont Montréal était la capitale et qui luttait contre les Britanniqu­es, on oublie de la célébrer. Même le chapitre sanglant du « massacre de Lachine » où des Iroquois ont exterminé des centaines de villageois, il faudrait s’en souvenir… ne serait-ce que parce que cette tuerie a montré la nécessité d’une paix. Comme quoi l’ostracisme de la mémoire de la Nouvelle-France, c’est toujours aussi celui de la mémoire amérindien­ne.

CHÉNIER, DISPARU

Cela fait deux ans au moins que la statue du patriote Jean-Olivier Chénier a été retirée de son emplacemen­t pendant la réfection du square Viger le long de la rue Saint-Denis. Déjà, des vandales avaient dérobé le « fusil » que tenait ce héros… fusil que l’on ne remplaçait pas au nom du « pacifisme »… Ce n’était que la première étape vers l’oubli. Adieu, Chénier. Combien de mes lecteurs savent qui tu es ? Voilà ce qui arrive quand on est le héros d’un peuple d’oublieux.

DOLLARD, LE NÉGLIGÉ

Dollard des Ormeaux est mort héroïqueme­nt pour sauver Montréal… mais la ville qui lui doit l’existence se complaît à le snober. Que voulez-vous ? Dollard était un Français. S’il avait été un Anglais, son nom serait partout ! Regardez le gagnant Amherst qui a pollué notre toponymie pendant deux siècles !

PLAQUES OUBLIÉES

Depuis plusieurs années, je « crie dans le désert » pour dénoncer la disparitio­n de plaques commémorat­ives de cuivre (volées pour le prix du métal) que personne ne remplace. Et quant à certaines plaques épargnées par les voleurs, elles sont dans un état lamentable, même en plein Montréal touristiqu­e. La plaque honorant Antoine de Lamothe-Cadillac sur le McDonald près du palais de justice a disparu. Celle rappelant l’emplacemen­t de la Cour martiale non loin de l’actuel journal La Presse a elle aussi été dévissée. Même chose pour la plaque commémoran­t Lambert-Closse. Quant à celle de l’ambassadeu­r Joncaire, elle est usée à la corde, presque illisible. Comme si la ville se disait : « Bof ! C’est privé. Qu’ils s’arrangent avec ! »

La nouvelle entrée de Montréal aurait pu faire référence à notre histoire, mais non.

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