AUX TROUSSES DU DOCTEUR LE PLUS OCCUPÉ DU PAYS
« Ça cognait tellement fort à la porte que je pensais que des voisins avaient besoin de notre aide de toute urgence », a raconté la Dre Louise Lamarre en relatant comment le FBI l’a tirée du lit le 2 juin 2011.
Quand son mari a ouvert la porte de leur maison située au bord d’un lac à Rockwall, au Texas, a relaté Mme Lamarre, « quatre ou cinq policiers habillés en noir avec des mitraillettes de guerre pointées sur nous sont rentrés en même temps ».
« On a eu peur, a expliqué la conjointe du Dr Jacques Roy. Ils nous ont ordonné de nous asseoir et de ne pas bouger. Je suis restée dans la salle à manger, en jaquette. Ils ont fouillé partout. Ils répétaient : “Vous ne savez pas pourquoi nous sommes ici?” C’était l’incrédulité totale. »
MÉDECIN OCCUPÉ
En 2006, Jacques Roy avait réorienté sa pratique en multipliant les visites à domicile de gens âgés, handicapés ou démunis.
« Ici, la plupart des médecins en font, mais à temps partiel. Jacques adorait cela. Il se sentait valorisé et apprécié par ses patients. C’est comme s’il avait trouvé sa vocation. Ça l’a malheureusement fait ressortir du lot », a souligné sa conjointe.
En matière de soins à domicile, le Dr Roy est devenu le médecin le plus occupé au Texas, mais aussi à travers les États-Unis, selon le FBI.
« Un médecin ne peut s’occuper de 11 000 patients, c’est impossible », plaidera d’ailleurs le procureur de la poursuite, P. J. Meitl, en parlant de la clientèle dont le docteur originaire de Québec se serait occupé entre 2006 et 2011.
SORTIR DU LOT
Le problème, selon Louise Lamarre, c’est qu’il y a aussi à Dallas « un paquet » d’agences de santé privées qui jouent du coude pour prodiguer à des patients toutes sortes de services à domicile. Pour ce faire, ces agences ont besoin de la signature de médecins qui ont évalué ces patients au préalable et déterminé leurs besoins.
« Ces agences s’arrachent les médecins en leur [adressant] des patients. Il y en a qui fraudent le système. Et elles ont remarqué Jacques », a déclaré la conjointe du Dr Roy, elle aussi médecin au Texas.
BRIGADE SPÉCIALE
La Dre Lamarre a dit avoir compté à l’intérieur de son domicile, le 2 juin 2011, 17 agents ou enquêteurs du FBI et d’une sorte d’escouade Carcajou spécialement formée par le gouvernement américain non pas pour lutter contre les motards mais pour réprimer les fraudes à l’assurance maladie.
C’est sans compter ceux qui ont simultanément investi les locaux de la clinique Medistat du Dr Roy, à DeSoto, où travaillait aussi la Dre Lamarre, dans un domaine médical différent de celui de son mari. C’est pourquoi elle n’a pas été accusée dans cette affaire.
SANS-ABRI RECRUTÉS
Le 28 février 2012, deux semaines après qu’il fut revenu à Québec pour les obsèques de sa mère Renée, le FBI appréhendait le Dr Roy en même temps que l’ex-directrice de sa clinique et cinq propriétaires d’agences de services de santé qui faisaient affaire avec lui.
Les autorités leur reprochaient d’avoir facturé des réclamations frauduleuses totalisant 374 millions $ pour des « visites non nécessaires » et des « traitements
injustifiés » à 11 000 patients en cinq ans.
L’une de ses complices présumées, Charity Eleda, était même soupçonnée d’avoir recruté des patients dans un foyer pour sans-abri de Dallas en promettant des repas gratuits aux volontaires.
Un autre, Wilbert Veasey Jr., recrutait des patients en faisant du porte-à-porte. Un exemplaire de la Bible à la main, il leur disait : « Dieu veut que vous soyez soignés ! »
« Les deux bras me sont tombés quand j’ai appris ça, a réagi sa camarade de classe Marie-Josée Ladora, également médecin. Jacques aime trop sa famille pour avoir fait ça. Il ne les aurait jamais mis à risque. Mais la perception, dans l’opinion publique, c’est que le FBI ne t’arrête pas pour rien. Ils se sont servis de lui pour passer un message. »
« Nous voulons envoyer un message clair : si vous persécutez les contribuables américains, nous vous traquerons et nous vous poursuivrons en justice », a prévenu le sous-procureur général de l’État, James Cole, lors de la conférence de presse tenue le jour de ces arrestations.
PASSÉ AU CRIBLE
« Ils l’ont fait passer pour un vrai monstre. C’est épouvantable. »
La Dre Marie-Josée Ladora, qui pratique la médecine à Gatineau, est très étonnée des tactiques des procureurs fédéraux du Texas, qui ont dépeint son ami Jacques Roy comme un criminel et un incompétent qu’il fallait écarter de la société à jamais.
Les procureurs ont rappelé qu’en 1995, dans un hôpital de Dallas, une fillette de 6 ans était morte après avoir été vue à l’urgence par le médecin né au Québec. Les parents ont poursuivi l’hôpital et ont reçu 700 000 $ dans un règlement à l’amiable.
« Ça semblait être un cas de gastroentérite, a relaté sa conjointe, la Dre Louise Lamarre. Jacques l’a réhydratée, stabilisée et admise à l’étage, où elle était sous les soins d’un pédiatre. Plus tard, on a appelé Jacques en catastrophe, mais... Elle avait une endotoxine. Les assureurs ont préféré régler plutôt que de payer des avocats pour le défendre jusqu’au bout. »
MAÎTRESSE SURMÉDICAMENTÉE
Puis, en 1999, une femme avec qui le Dr Roy avait eu une liaison extra-conjugale est morte dans un accident de voiture alors qu’elle était surmédicamentée à l’hydrocodone, un opiacé que le médecin lui avait prescrit en cachette, sans ouvrir de dossier médical.
« C’est vraiment la seule faute professionnelle qu’il ait commise en carrière, a soutenu son ami de longue date Bernard Desgagné. Cette femme n’était pas sa patiente et elle était toxicomane. »
Le permis de pratique du Dr Roy a ensuite été suspendu pendant 30 jours par le Collège des médecins du Texas.
Embauché par les services correctionnels pour soigner des prisonniers, il a été congédié six mois plus tard pour avoir prescrit du Valium à un détenu alcoolique dont le sevrage était difficile.
Lors du procès de Jacques Roy pour fraude, les procureurs fédéraux ont argué devant le jury que le médecin avait été « humilié » par ces déboires professionnels et que sa réputation était entachée dans le milieu de la santé à Dallas.
Et selon eux, c’est à ce moment que le Dr Roy a eu la « cupidité » d’utiliser des milliers de patients comme « pions » dans le stratagème frauduleux qu’il a orchestré, d’après des documents de cour.