De la chaleur sous la glace
Quel bizarre de roman que signe ici Vincent Brault ! La chair de Clémentine est tout de glace et de froidure. Et pourtant, quelle chaleur humaine il dégage !
Après Le cadavre de Kowalski en 2015, où déjà il avait démontré sa grande habileté à jouer avec l’étrangeté, Vincent Brault publie un deuxième roman tout aussi singulier.
On a froid dans La chair de Clémentine : à chaque (court) chapitre, la température descend d’un degré, nous menant de 0 degré Celsius à -51. Aussi froid qu’un cadavre, car à nouveau Brault s’amuse avec la mort.
Son héros, un tout jeune homme, a pour nom Gustave. Il a deux caractéristiques qui le démarquent du tout-venant. D’abord, il ne se sent bien que lorsque tout le monde gèle. Ensuite, depuis l’enfance, ceux qui, bêtes ou humains, sont sur le point de passer de vie à trépas viennent trouver du réconfort dans ses bras. Une fois enlacés, c’est Gustave qui alors ne peut plus s’arracher d’eux : les médecins doivent sortir pinces et écarteurs pour le détacher !
Non, ce n’est pas normal, ne cesse de se dire Marcel, un policier à chaque fois appelé sur les lieux. Le doux Gustave a beau n’assassiner personne, son comportement n’a aucun sens. Marcel est d’autant plus intrigué que le père de Gustave, Florent, cache farouchement un secret sur l’enfance de son fils. D’ailleurs, qu’en est-il de Clémentine, la mère décédée quand Gustave était bébé – donc la première morte de l’histoire ? Le policier veut en avoir le coeur net.
Non, ce n’est pas normal, se dit Gustave lui-même. À 19 ans, il doit bien constater qu’il a « absolument besoin de froidure pour être heureux ». Il se nourrit de mets congelés… non décongelés, boit du thé glacé, n’endure – et encore – que de minces couvertures, s’habille en hiver comme si c’était la canicule d’été. Sinon, l’inconfort que la moindre chaleur lui procure lui est insupportable : « Il adorait le froid, merde, comme un héroïnomane adore l’héroïne. C’est pas normal ! C’est pas normal ! C’est pas normal ! » Mais rien à faire, ça va même en empirant. Et son père qui ne veut rien lui raconter.
Il y aura toutefois une lueur d’espoir dans ses déboires : Françoise, une exterminatrice appelée par les voisins, inquiets de la vermine qui circule autour de la résidence de Gustave. La mort, elle connaît, c’est son métier. Gustave se sent aussitôt en confiance à ses côtés, et Françoise comprend qu’il a besoin d’aide. À deux, ils font comme Marcel : ils se mettent en quête du père.
Tout cela est invraisemblable ? Certes ! Mais on embarque, séduit par l’inventivité de l’auteur et sa maîtrise du genre. Ce récit fantastique reste constamment accroché à la réalité – notamment dans sa manière d’utiliser neige et tempête, repères qui nous sont familiers. Surtout, c’est bien une histoire d’humanité qui se dévoile sous des apparences d’épouvante. La conclusion, inattendue, ne nous fait-elle pas chaud au coeur ?