Le Journal de Montreal

Confidence­s sur ma mère

- LOUISE DESCHÂTELE­TS louise.deschatele­ts@quebecorme­dia.com

Je vous écris pour avoir votre avis sur une situation familiale qui me préoccupe. Pour débuter, je dois vous dire que ma famille proche a vécu trois suicides. Soit celui de mon frère, d’une bellesoeur ainsi que de mon père. Ça a bouleversé tout le monde bien évidemment, et moi en particulie­r. J’ai derrière moi plusieurs années de recherches personnell­es intensives pour trouver la cause d’autant de drames dans une même famille.

Tout ça pour découvrir que la cause de tous ces drames, c’était ma mère. C’est cette femme de 91 ans qui devrait, selon moi, porter le poids de ça. Pourquoi en suis-je arrivé à une telle conclusion me direz-vous ? Eh bien, c’est parce qu’elle ment continuell­ement. En fait, elle a toujours menti et manipulé tout le monde autour d’elle. Fort de cette découverte qui m’a enfin ouvert les yeux, je lui ai téléphoné hier soir pour lui dire que je coupais les ponts avec elle parce qu’elle me rend malade.

Vous savez Louise, quand quelqu’un autour de soi ment ainsi de façon continuell­e, on cherche dans ses propos une logique qui s’avère impossible à trouver. Des propos qui la plupart du temps n’ont pas de sens, on ne peut pas croire à ça. Mais en même temps, comme ma mère a l’air d’y croire, ça nous perturbe intérieure­ment. On se met alors en mode d’hyper vigilance, pour tenter de comprendre l’incompréhe­nsible. Pour essayer de saisir le sens profond de propos qui n’ont, dans les faits, aucune logique.

Vous dire à quel point cette découverte m’a bouleversé est tout simplement impossible. Par contre, je pense savoir pourquoi elle ment, car je l’ai appris il y a quelques années seulement. Et bien, c’est depuis qu’elle a subi l’inceste ! Pierre Denis

D’abord, je me dois de vous indiquer que les gens ne se suicident pas à cause de quelqu’un d’autre. L’être humain est beaucoup plus complexe que ça. Il se suicide parce qu’il ne trouve plus d’échappatoi­re à son mal de vivre. Ne trouvant aucune solution pour accéder à un quelconque apaisement intérieur, il prend un moyen radical pour ne plus avoir à combattre l’ennemi qui le ronge un peu plus chaque jour. Ce n’est pas un choix comme tel qu’il fait. C’est au contraire le constat qu’il fait de l’absence de choix à sa portée, qui l’incite à poser ce geste pour cesser de souffrir.

On a tendance à chercher un coupable quand un proche se suicide, mais c’est une erreur de le faire. La décision de s’enlever la vie appartient à celui ou à celle qui pose le geste parce qu’il ou elle se trouve devant une impasse insurmonta­ble autrement.

Devant ce néant de solutions, la mort leur semble mieux que de continuer à vivre avec cette souffrance.

Si on revient à votre mère, je vous signale que le mensonge compulsif constitue une évasion à une forme de mal-être, au même titre que la drogue, l’alcool, le jeu ou encore le workaholis­me. Votre mère a vécu l’inceste me dites-vous ? Je soupçonne fort que vu son âge, elle n’ait jamais été reconnue dans sa souffrance, pas plus qu’elle n’a dû pouvoir dénoncer le coupable. Et pire encore, si elle a pu le dénoncer, il est fort probable qu’on ne l’ait même pas crue.

Imaginez une seconde avec quel secret destructeu­r elle a vécu sa vie de femme. Comme elle a toujours dû composer avec la honte d’avoir été salie, elle se redonne une virginité en mentant sur son présent. Je comprends que ça vous blesse d’être victime de son moyen de rédemption, mais ne pensez-vous qu’elle est la première victime de ses propres mensonges ?

Cette femme doit certaineme­nt avoir par ailleurs de bons côtés. Sans vouloir vous dire quoi faire et à l’âge vénérable qu’elle a, cela ne pourrait-il pas compenser pour vous amener à faire la paix avec elle ?

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