L'OUEST QUI NOUS DÉTESTE
De plus en plus d'Albertains en furie le Québec
CALGARY | Arrogant, hypocrite, profiteur et injustement favorisé par Ottawa. C’est ainsi que le Québec est perçu dans l’Ouest canadien, où la grogne ne cesse d’augmenter.
« Le Québec est hypocrite. On refuse notre pipeline pour des raisons environnementales, mais [Montréal] déverse des millions de litres d’eaux d’égout dans le [fleuve] SaintLaurent. On se vante de présenter des budgets avec des surplus, mais on reçoit aussi la part du lion de la péréquation, qui provient en partie de l’Alberta. On plaide pour des fonds publics pour Bombardier, mais on milite activement contre les entreprises pétrolières de l’Ouest. C’est d’une arrogance incroyable », résume Danielle Smith, animatrice radio et ex-chef du parti de droite Wildrose.
Dans l’Ouest (Alberta, Saskatchewan et Manitoba), les réactions ont été vitrioliques ces dernières semaines après l’abandon du projet de pipeline Énergie Est. Le Journal s’est rendu quelques jours en Alberta pour sonder l’état des relations est-ouest au pays (lire autres textes).
Une vingtaine d’intervenants de tous les milieux ont admis avoir une dent contre le Québec. Tant des citoyens ordinaires que des personnalités publiques sont en colère.
QUE LE QUÉBEC SE SÉPARE !
Les raisons invoquées sont nombreuses. Entre autres, ils voient le Québec comme indûment privilégié par le fédéral, alors qu’une partie de l’ouest traverse une des pires récessions de son histoire. Ils ont le sentiment que le Québec est indifférent à leurs malheurs ou qu’ils s’en réjouissent. Certains blâment même en partie la province pour leurs problèmes.
C’est sans compter ceux qui ont refusé, parfois de façon bien peu polie, de répondre à nos questions parce qu’ils ont horreur du Québec.
Si de plus en plus de Canadiens de l’Ouest en ont contre la province, ses politiques et ses politiciens, peu nombreux sont ceux qui ont dit avoir une opinion négative des Québécois personnellement. Et bien sûr, ce n’est pas tout le monde qui a une vision négative du Québec.
Selon tous ceux qui ont accepté de témoigner, le fait que des politiciens québécois célèbrent la mort d’Énergie Est est la goutte qui a fait déborder le vase.
QUÉBEC BASHING
« Le projet d’Énergie Est présentait une opportunité en or pour unir les côtes est et ouest du Canada et réduire le gouffre qui nous sépare, et ça c’est soldé en échec », lance Chris Kirk, fondateur du Western Independence Party of Saskatchewan. « Sincèrement, je regrette vraiment que le Québec ne se soit pas séparé du Canada, parce que ça nous aurait au moins économisé des paiements de péréquation. Je déteste de plus en plus le Québec. »
Ce sentiment trouve écho chez de nombreux Albertains rencontrés. Certains se sont avérés être de fervents partisans de l’indépendance du Québec, ou encore de celle de l’Ouest.
D’ailleurs, les experts s’entendent pour dire que le Québec bashing est aussi en hausse constante depuis au moins 2015. Et risque de s’empirer dans les années à venir.
— Avec la collaboration de Boris Proulx, Émilie Bergeron, Maxime Huard et Sarah Bélisle
EDMONTON | Si la grogne dans l’Ouest envers le Québec est déjà forte, tout porte à croire qu’il y aura une escalade des tensions au cours des prochaines années.
Tant les observateurs que les politiciens et politicologues sur place s’entendent pour dire qu’il y a une recrudescence du ressentiment envers le Québec, particulièrement depuis l’élection en 2015 de Justin Trudeau, un Québécois. Cette impression se reflète aussi sur le terrain.
« L’impression ici est que le Québec est au mieux, indifférent, et, au pire, hostile envers les intérêts nationaux canadiens depuis quelques années. Les Albertains sont de plus en plus piqués par cette impression. Avant, on parlait d’une frustration, mais maintenant on ressent vraiment une colère », analyse Preston Manning, fondateur du Parti réformiste canadien et mandarin du mouvement conservateur canadien.
DES TENSIONS À L’HORIZON
Outre de nombreux irritants qui contribuent à l’animosité envers le Québec, une certaine pression économique dans l’Ouest exacerbe aussi les tensions.
« Avec la taxe sur le carbone, la chute du prix du baril de pétrole dans les dernières années et la disparition graduelle de l’industrie du charbon, les Albertains et Saskatchewanais voient leurs emplois disparaître et leurs industries fermer. Donc, se faire refuser un pipeline qui pourrait relancer leurs économies les touche profondément », explique Jim Farney, professeur à l’Université de Regina, en référence au pipeline Énergie Est.
Ce sentiment risque fort de s’amplifier dans les années à venir, notent plusieurs.
La campagne électorale provinciale en Alberta est prévue pour 2019.
Déjà, les candidats conservateurs sont très vocaux dans leurs critiques du Québec dans le but de reconquérir la province, présentement sous la gouverne des néo-démocrates.
La même année se tiendra la prochaine élection fédérale. Or, le premier ministre Justin Trudeau est une figure tout particulièrement détestée dans l’Ouest canadien.
C’est sans compter que la péréquation (programme fédéral de redistribution des revenus fiscaux qui vise à réduire les disparités entre les provinces) sera renégociée.
« Lorsqu’on fait face à d’importants déficits et une situation économique plus difficile, on ne comprend plus pourquoi on paie pour les programmes des autres. C’est sûr que ça doit changer en 2019 », lance Jason Kenney, ex-ministre fédéral et aspirant-chef du United Conservative Party en Alberta.
La frustration est telle que le mouvement, jusqu’ici très marginal, de sécession de l’Ouest prend de la vigueur.
Ç’A DÉJÀ ÉTÉ PIRE
Si une grande partie de cette animosité provient de la population conservatrice (majoritaire), le Québec a aussi réussi à s’attirer brièvement les foudres de la gauche albertaine récemment avec sa loi 62 sur la neutralité religieuse, indique le politologue Frédéric Boily.
Ce n’est pas la première fois de l’histoire albertaine qu’une vague de ressentiment envers le Québec frappe, note-t-il.
Le plus fort du Québec bashing (attitude de dénigrement ou d’hostilité envers le Québec) a eu lieu au cours des années 1980, alors que Pierre Elliott Trudeau était au pouvoir à Ottawa.
La politique énergétique de Trudeau père, combinée aux difficultés économiques de l’Ouest et aux discours nationalistes au Québec avaient contribué à une montée de la grogne envers la Belle Province.