Le Journal de Montreal

Je ne suis pas une machine distributr­ice !

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La ministre Stéphanie Vallée affirme qu’il sera interdit à une étudiante d’assister à un cours le visage voilé.

Auparavant, sa collègue de l’Assemblée nationale Hélène David disait qu’il pourrait y avoir des exceptions dans le monde universita­ire.

Non au visage voilé dans les petites classes, mais oui, peut-être, disait-elle, dans les groupes si nombreux qu’il n’y a pas de véritable « interactio­n » entre le professeur et la majorité des étudiants. Bref, cela dépendrait des circonstan­ces. Imaginez le casse-tête : l’étudiante voilée pourrait donc s’inscrire à certains cours, mais pas à d’autres ? Selon quels critères objectifs ?

Comme je suis professeur d’université, je me suis demandé comment je réagirais si une étudiante voilée se présentait dans un de mes cours.

MOI, NON

Au premier cycle, j’enseigne à des groupes d’une soixantain­e d’étudiants. Au MBA, j’ai des classes de 15 à 40 étudiants.

À la maîtrise ou au doctorat, quand je supervise le mémoire ou la thèse d’un étudiant, le rapport est beaucoup plus étroit. Je n’enseigne pas à des groupes de 200 étudiants. Dans tous les cas auxquels je suis personnell­ement confronté, je refuserais qu’une étudiante ne me montre pas son visage. Tout simplement.

Mme Vallée, qui, cette fois, a raison sur le fond, a aussi qualifié l’acte d’enseigner de « prestation de service ».

Enseigner ne devrait pas être réduit à une « prestation de service ». Oui, il y a de ça, mais il n’y a pas que ça.

Je ne suis pas une machine distributr­ice qui, si on appuie sur le bon bouton, libérera la friandise désirée. Même dans les groupes de 60 étudiants, j’essaie d’établir un contact humain. Je ne m’adresse pas à des matricules.

Tenter d’établir cette interactio­n, difficile quand des étudiants anxieux arrivent du cégep, est une partie essentiell­e de mon métier.

En scrutant leur visage, je sais s’ils comprennen­t ou pas, si je les ennuie ou pas, s’ils sont confiants ou pas. Les inflexions du visage sont un reflet de l’esprit.

Comment pourrais-je savoir tout cela si un tissu dresse une barrière ? Une étudiante dans ce cas ferait mieux de s’inscrire à la télé-université. Et je pourrais tout aussi bien lui envoyer mes notes de cours par courriel.

Cette étudiante devrait aussi faire des travaux d’équipe. Si des adultes matures sont troublés par une femme voilée en public, imaginez un jeune dans un groupe de quatre.

RESPECT

Bref, je verrais dans ce voile un absolu manque de respect à mon égard.

Son visage voilé, supposémen­t justifié par son souci de modestie et pour ne pas exacerber le désir masculin, nie ma dignité, parce qu’il présuppose que je ne saurais pas me conduire de façon appropriée devant son visage dévoilé, alors que je sais le faire devant ceux de toutes les autres étudiantes.

Et si mon établissem­ent voulait me forcer la main, je serais un objecteur de conscience.

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