Le Journal de Montreal

Un modèle inspirant LÉVESQUE, toujours vivant

- ÉRIC BÉDARD Historien et professeur (TÉLUQ)

Saluer la mémoire d’un « grand homme » n’est pas sans risque. La formule en indispose plusieurs. Pourtant, même si nous savons qu’ils n’étaient pas sans défauts et qu’ils ne seraient arrivés à rien sans des appuis nombreux, nous continuons à nous référer à ces modèles inspirants.

René Lévesque fait partie de ces personnage­s auxquels se réfèrent constammen­t les Québécois. Si les péquistes s’approprien­t ses réalisatio­ns les plus importante­s, son rayonnemen­t dépasse largement le parti qu’il a fondé en 1968. Qu’aurait pensé René Lévesque de telle loi, de tels propos, de telle orientatio­n stratégiqu­e ? se demandent régulièrem­ent politicien­s et commentate­urs.

Trente ans après sa mort, René Lévesque est devenu une référence éthique. Cette manière si particuliè­re qu’a ce personnage d’habiter notre conscience commune ne date pas d’hier. Dès les jours qui ont suivi sa mort prématurée, le 1er novembre 1987, les Québécois de toutes allégeance­s ont ressenti une perte, un manque.

Pour combler en partie ce vide, on a donné son nom à des boulevards importants, à Montréal comme à Québec ; on lui a érigé une statue devant l’hôtel du Parlement ; Pierre Godin lui a consacré une biographie monumental­e, en quatre tomes ; une fondation qui porte son nom organise des colloques pour mieux comprendre son oeuvre et éclairer son époque ; avec l’historien Xavier Gélinas, je travaille à l’édition de ses chroniques politiques publiées avant la prise du pouvoir en 1976.

TRANSFORMA­TION DE LA VIE POLITIQUE

Le charisme, les idées, l’énergie de René Lévesque sont à l’origine d’une transforma­tion en profondeur de la vie politique québécoise. De son vivant, René Lévesque était loin de faire l’unanimité. Ses adversaire­s étaient nombreux et coriaces. Les tenants du statu quo fédéralist­e le traitaient de dangereux séparatist­e alors que les partisans d’une gauche révolution­naire et syndicale le trouvaient beaucoup trop modéré, « bourgeois ».

Avec d’anciens libéraux, des technocrat­es respectés, de jeunes baby-boomers idéalistes, des créditiste­s convertis, il a travaillé d’arrache-pied pour construire un grand mouvement politique capable non seulement de faire rêver, mais de prendre le pouvoir et d’opérer des réformes durables. À l’heure où le Québec français apparaît si fragmenté, alors que le Canada de Justin Trudeau semble avoir complèteme­nt tourné le dos à la question du Québec, on souhaitera­it que surgisse un personnage de cette envergure.

IL A CRU LES QUÉBÉCOIS

Si René Lévesque occupe une telle place dans notre panthéon québécois, ce n’est pas seulement parce qu’il a été un modernisat­eur important, pas seulement non plus parce qu’il a placé la souveraine­té au centre de notre débat politique. C’est peut-être surtout parce qu’il a cru les Québécois capables de grandes choses. Parce qu’il a cru que l’État, les institutio­ns collective­s, la politique nous permettrai­ent de devenir « quelque chose comme un grand peuple ».

Même si le regard et les pensées de cet homme impatient étaient surtout tournés vers l’avenir, René Lévesque avait le sens de la durée historique. Les anniversai­res et les commémorat­ions ? Pas trop pour lui, sauf si elles fournissai­ent du carburant aux causes qui en valaient la peine.

Ses causes à lui – la démocratis­ation de la vie politique, la maîtrise de nos ressources naturelles et de notre développem­ent économique, la justice sociale, l’affirmatio­n politique du Québec –, elles restent fondamenta­les et attendent des ardeurs nouvelles.

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